Elle passe la nuit dans l’hôtel. Ce qu’elle ne pouvait savoir hier en longeant le boulevard du bord de mer et le jardin du 27, celui devant la maison blanche embellie de bougainvilliers — c’est que derrière la haie, un jeune homme d’une vingtaine d’années se vidait de son sang. Ce qu’elle ne pouvait savoir dans la gare en choisissant au hasard sa destination — c’est que l’homme derrière elle a tenté de lui dérober une partie du contenu de son sac posé par terre un instant, mais si rapidement repris en main qu’il n’a pu réaliser son larcin. Ce qu’elle ne pouvait savoir dans le train par son inattention — c’est l’intensité du regard bleu de l’homme posé sans cesse sur elle. Ce qu’elle ne pouvait savoir posant ses pieds déchaussés sur le sol — c’est l’insolite mygale ornementale saphire qui s’en est approchée, en a fait le tour puis s’est réfugiée dans son sac. Ce qu’elle ne pouvait savoir pendant la durée de son endormissement, avant de prendre sa décision de descendre du train dans la gare choisie au hasard — c’est que le même homme s’était assis un instant à côté d’elle puis reparti. Ce qu’elle ne pouvait savoir du hasard qui l’a conduite dans la gare où elle est descendue, de cette petite ville où elle n’était jamais venue — c’est qu’il s’agit du lieu souvent arpenté en rêve par sa mère décédée récemment, lieu inconnu d’elle dans la réalité et rêve jamais rapporté — elle y retrouvait un homme étrange dans la roseraie du parc. Ce qu’elle ne pouvait savoir — c’est l’histoire de l’hôtelier, dont la profession et le port de barbe sont de brouiller les pistes afin de ne pas révéler sa vie antérieure faite de trafics avec des truands du Tamil Nadu et du Kerala. Ce qu’elle ne pouvait savoir en montant sur le pont et contemplant l’eau et les algues — c’est qu’une main y jette chaque jour en catimini des substances polluantes. Ce qu’elle ne pouvait savoir au sujet du jeune marchand ambulant — son exil de Syrie, sa traversée en bateau. Ce qu’elle ne pouvait savoir sur le caractère singulier du climat d’ici — qu’il peut passer brutalement du froid au chaud, du sec à l’humide et en été de la pluie à la neige. Ce qu’elle ne pouvait savoir des raisons de son inquiétude, le soir de son arrivée — c’est l’étrangeté des formes et de la luminosité des nuages rouges. Ce qu’elle ne pouvait savoir sur l’origine des perturbations climatiques — les expériences conduites sous terre.
Une folie ce monde dans lequel nous vivons…
Celle qu’on suit de près, est cernée de toutes parts. Je n’aimerais pas être à sa place, surtout à cause de l’araignée (même si elle n’est pas mortelle et même si je n’ai rien contre les araignées…) et du jeune homme qui se vide de son sang !!
Mais toi, je te suis, chère Huguette…
Merci de me lire Françoise.
Une folie ce monde en effet, et on n’en voit qu’une partie !
Il s’en passe des choses autour de cette femme dont on ne sait rien ! Une bonne façon de brouiller les pistes pour mieux passer inaperçue ?.. Merci pour cette lecture tambour battant.
Merci Zoé pour votre lecture. Je n’en sais pas grand chose non plus , mais je lui suis souhaite d’avoir beaucoup d’énergie !
Je ne connais pas encore vos écrits.
Un peu débordée par la vie et les deux ateliers à
suivre !
C’est vraiment très beau… et soudain je repense au récit La Ronde de Le Clézio… un mythe caché
Merci pour ta lecture et ta référence à laquelle je n’ai pas songé. Vais aller voir
L’anaphore est ma figure de style préféré. En dehors de ça, le texte est énigmatique et suffisamment flou et étrange pour nous permettre l’espace du rêve.
Oh !!! Quelle virtuosité dans le changement d’amosphère !
Merci encore Helena, vos mots sont très sympas