Il a le pas raide, étroit, resserré. Il est 10 heures, il vient de se réveiller et il descend la rue piétonne en direction du bistrot. Le bras droit tendu et serré le long de son corps, il tient dans sa main un sachet de boulangerie, déjà gras. L’autre main est dans la poche de son blouson, au niveau de ses côtes, pliant son coude à angle aigu. Sa nuque a coulissé entre ses épaules pointées vers ses oreilles et son col est remonté haut et droit, telle une minerve, accentuant la rigidité de sa démarche. Il a froid et ça se voit. Il devrait porter une écharpe, mais le contact de la laine avec sa barbe, il n’a jamais aimé ça. Pourtant, sa mère lui en a offert des toutes douces : merinos, caschemire, alpaga… Mais elles peluchaient au bout de quelques semaines seulement.
Il marche le dos très droit. On distingue mal quand finit le dos et où commencent les fesses. Il est fin et chez lui, le pas ne s’articule pas dans la hanche mais plutôt dans les genoux. Rien ne bouge dans la partie supérieure de son corps. Si l’on ne regarde pas ses pieds, on pourrait croire qu’il glisse sur un tapis roulant. Mais en bas, ses jambes pilonnent l’asphalte à la vitesse de l’aiguille d’une machine à coudre. Au premier regard, il pourrait faire penser à un employé qui se presse de retourner au bureau après un rendez-vous en extérieur, sans avoir oublié de rapporter quelques chouquettes à ses collègues. Une observation à peine plus attentive fait apparaître une multitude de dissonances et dissout toute tentative de catégorisation. Quelque chose cloche, mais on ne saurait dire si c’est un excès de nonchalance ou au contraire une nervosité mal dissimulée. Apparemment terriblement banal et presque timide, il agace l’oeil comme les sept erreurs des dessins des suppléments du dimanche. En été, on le voit faire le même chemin en short court et débardeur, chaussé d’espadrilles parce qu’il déteste les nus-pieds. Quand il neige, il sort ses skis de fond et traverse la ville au pas de patineur. Toujours droit et raide en haut, agile et précis en bas. Poli quand on le salue.
On ne sait pas grand-chose de lui, mais on dit que c’est un original. Il n’est pas vraiment d’accord, mais ça lui est égal.
Raide ce personnage, jusque dans l’écriture, j’en ai les épaules toutes contractées, bel effet !