Incongrue foule estivale quand on a pour seules compagnes les vagues en hiver. En cette première journée de chaleur, ils sont tous là. À la descente des escaliers, les premiers arrivés et installés sont un couple et leur petit-fils. Tous les deux bedonnants, calés dans leurs chaises rayées pliantes. L’enfant brandit une pelle dans sa main droite ne sachant quoi en faire. La femme attrape un seau et le remplit de sable « regarde Mamie » elle retourne le seau mais le sable est trop sec et la tour s’écroule. Elle creuse plus profond pour trouver du sable humide « regarde mamie ». L’homme n’a pas levé la tête de ses mots croisés. Peut-être s’est-il endormi malgré les quatre enfants qui jouent bruyamment en contre-bas ? Ils poussent et trient les galets qui jonchent cette portion de plage. Ils ne sont pas d’accord, le plus grand, pourtant bien maigrichon, veut porter les plus gros, il écarte d’un geste rude son petit frère qui échoue les fesses par terre et se met à pleurer. Les deux autres tout occupés à creuser les fondations du château ne s’en mêlent pas. Une femme sort la tête de derrière un parasol et les invective. Les quatre enfants aux tee-shirt anti-uv orange vif se figent mais ses mots se perdent dans le fracas des vagues. Ils reprennent leurs travaux. Deux femmes portant chapeaux à large bord, jupes longues et sandalettes traversent la scène en traînant derrière elles leurs chaises. Elles contournent un groupe de jeunes gens. Filles et garçons se sont entassés en tous sens et forment un obstacle compact. De la musique diffusée par une baffle couvre à peine les éclats de voix et les rires. Une brune un peu ronde fait la pitre. Deux garçons se lèvent pour l’attraper. Ils l’entraînent vers l’eau au milieu de grands cris et feintes protestations. Une des filles s’est relevée nonchalamment sur son coude. Son corps oscille entre enfance et adolescence. Son bikini blanc met en valeur sa poitrine, ses fesses et sa peau uniformément hâlée. Deux plutôt jolies filles aux coiffures moins recherchées, aux maillots de bain moins scrupuleusement choisis l’entourent. Les crèmes solaires et lunettes de soleil ont remplacé agenda et classeur dans leurs sacs à dos. Un peu à l’écart un couple, formé pendant l’année scolaire, se bécote sous les yeux de quinquas goguenards aux corps hyper entretenus et tatoués. Ils ne daigneront pas reluquer la femme à leur droite, une trentenaire venue avec ses enfants en bas âge. Elle se lève précipitamment pour en rattraper un avant qu’il n’atteigne l’océan. Les vagues sont vigoureuses à marée haute. Après deux grossesses rapprochées son respectable maillot de bain une pièce dissimule mal une poitrine lourde, un ventre flasque, sans être proéminent. Deux personnes âgés sortent de l’eau, ils la dépassent pour remonter à leurs serviettes. La femme ne porte pas de soutien gorge et le monsieur un slip de bain. Ils ont tous les deux les cheveux longs gris et filassent qui pendent dans leur dos. Ils étalent leur peau burinée, brûlée par le soleil, sur de grandes toiles de coton. Ils ressemblent à des marrons glacés prêts à être emballés. Un homme lâche bruyamment ses deux sacs de plage, un juron et le parasol. La famille n’ira pas plus loin. Les deux petites filles s’abandonnent aux mains expertes de leur mère qui les crème. Le père maugrée sur la tige de parasol, il adresse à sa femme « et les casquettes alors ! « . Elle rappelle les filles qui se prêtent sans rechigner à ces précautions supplémentaires malgré l’excitation d’être à la mer. Aussitôt libérées, elles se lancent droit dans l’écume, sautent et s’éclaboussent sous le regard paternel, vigie prête à bondir. La femme plie les habits qu’elle range dans le sac et positionne les serviettes sous le parasol. Une des filles revient vers eux en pleurant. Ses lunettes sont tombées à l’eau. Le mari fronce les sourcils et adresse à sa femme « bravo. tu n’avais pas mis le cordon ? » elle file vers l’eau en retroussant sa jupe dans l’espoir de retrouver la paire de lunettes. Peine perdue, elle rejoint sa fille à l’ombre en passant à côté de son mari qui ne cille pas. Elles se consolent en mangeant un boudoir. En cette queue de plage, on distingue deux promeneurs comme égarés parmi ces corps nus. La femme protège son crâne de ses deux mains alors que l’homme à nouer un tissu sur sa tête. Un homme dort en position de fœtus. Un dernier amas de locataires de plage s’est installé derrière une haute palissade tissée qui les protège du vent et des regards. Les jambes d’un poirier instable dépassent. Il est temps de déposer ma serviette et ma robe et plonger dans l’eau fraîche de juin.
Et tant de plages émergent de mes souvenirs en lisant celle de vos estivants !
Merci
Plaisir de retrouver ici une plage où j’ai moi même installé ma foule… et les gâteaux qui consolent, merci !