Marcher dans ce pré serait comme entrer dans un tableau, le déchirer de ses gestes. Alors, ne pas. Se tenir sur le chemin qui le surplombe si peu mais qui permet une vision élargie, presque aérienne de cette combe, cernée par des collines dans le lointain afin de bien clore le cadre. Ne pas dresser le cadastre des espaces, mais celui des émotions naissant de cette conversation. Apaisement lorsque le pas s’immobilise face à cet immuable panorama, compter les vaches dans le pré, sans savoir pourquoi, chercher celle qui toujours se tient à distance du troupeau et lui parler tout bas, vérifier selon la saison la présence de mûres dans les buissons qui longent la prairie, respirer, soupirer peut-être aussi. Reprendre la marche lentement pour longer ce lieu, en évoquant des souvenirs, des vrais et des supposés puisque ne nous appartenant pas. Entrevoir même une sorte de futur avec une petite main enserrée dans la mienne.
Entre chien et loup, dans une vision floue, le panorama où s’étale le village, avec le clocher qui pointe vers un ciel qui se retire, se fond dans une presque nuit, mais pas encore tout à fait, puisque les maisons se distinguent, on peut encore savoir qui habite là, maintenant on ne sait plus, les noms se sont dissous. Comme être dans une photo mal cadrée, avec une lumière défaillante, des ombres oubliées, un amas de maisons quand plus rien ne bouge, un chien passe en rasant les murs. Un village s’endort invisible aux yeux du monde. Le traverser et rentrer.
La cuisine, c’est ainsi qu’on nomme la pièce ou préparer le repas, rester, manger, se laver, lire, parler, attendre, rêver, se réchauffer. L’eau tirée du puits avec un seau en plastique jaune puis versée dans une grand faitout pour la chauffer avant de la verser dans la bassine posée sur la rallonge en bois de la table que l’on tire spécialement pour ça, la vaisselle qu’il faut faire après les repas – il n’y avait pas encore d’évier ni d’eau courante – et on pose sur la table les verres et les assiettes pour qu’ils s’égouttent un peu sur un torchon épais bien étalé, puis tout cela s’essuie avec un autre torchon, et se range ensuite dans le placard du mur et tout redevient comme avant : la rallonge repoussée, le seau dans la cave, les torchons à sécher sur la barre du fourneau, et les bandes dessinées que l’on sort du coffre-banc pour rester encore un enfant.
Un univers sans sujet, parfois un « on » et sans temps, l’infinitif essentiellement. Un espace porté à distance comme indéfini qui poursuit sa vie sans se soucier de celui / celle qui se souvient. Comme si le lieu bien que doté de la qualité du souvenir poursuivait une vie propre dans une temporalité flottante.
Merci pour de regard Marion! Oui c’est tout à fait ça ce lieu a existé bien avant moi avec des personnes de ma généalogie et se poursuivra après mon passage avec si peu de changements…