Il saisit la bouteille d’eau dans le sachet à ses pieds. Il est inquiet, il boit. Une odeur désagréable de plastique lui rappelle les étés au camping sous la tente. Cette fois, il ne part pas en vacances. Au milieu de l’autobus, parmi quelques têtes grises, le jeune homme cherche un peu de confort au fond de son siège dur. Il roule en boule un pull sous sa tête. Puis ferme ses yeux, pour les rouvrir très peu de temps après. Il se tourne contre la vitre. Il essuie du revers de sa manche les carreaux embués par le chauffage. Sa rétine suit à quatre-vingt kilomètres heure le soleil rasant qui réchauffe les blancs et les verts sombres des garrigues qui s’éveillent. Le temps et le paysage s’allongent. La clarté dévoile les massifs au loin. Il sort un roman de son blouson, commence à le lire mais le repose au bout de trois pages. Dehors, les transitions successives des blocs calcaires continus et arides parsemés d’arbres rabougris se déplacent et s’effacent désormais en vallées gorgées d’eau bordées d’arbres en majesté. Les petits villages se succèdent. Sur les places de platanes nus, les cyprès prennent la place des pins parasol devant les églises. Le panorama change. Le bus s’arrête plusieurs fois à très courts intervalles. Ici deux hommes, et là trois femmes se hissent sur les marches trop hautes. Le moteur redémarre en pleine montée, les disques d’embrayage patinent lourdement. Les personnes se connaissent et restent en petit groupe. Leur accent est moins chantant. Il comprend que c’est jour de marché. Il ressent un soulagement d’être là enfin seul, échappé, anonyme. Il rabat la tablette devant lui, et vide dessus les poches de son jean. Il y a pêle-mêle deux cent francs, une enveloppe blanche pliée en deux, des emballages froissés et brillants, un paquet de chewing-gum. Les pièces se déplacent toutes seules dans le virage. Il remet vite l’argent dans la petite poche de son jean. Il déplie l’enveloppe épaisse pour revoir ce qui est griffonné dessus. Il lit tout haut les horaires et les villes, le changement de correspondance déjà effectué. Un nom et un numéro sont entourés. Il replace tous ses papiers sur lui. L’autobus ralentit. La moitié du bus sort avec des cabas. La place du gros bourg et les rues adjacentes grouillent de monde. La tentation de descendre est grande pour se mêler à la foule, pour un café-brioche. Il observe cette vie de village. Le bus prend le large, le marché s’estompe. La végétation s’aplatit. Des roseaux sur les bas-côtés des routes éclipsent les saules, aulnes, peupliers qui se font plus rares. Les cyprès plus nombreux s’épanouissent plantés en haies géantes, comme brise-vent naturel. Il regarde l’heure sur sa montre. Il arrive bientôt. Il a comme un réflexe de se lever quand il aperçoit le pont de pierre qui enjambe le large fleuve. Les eaux sont hautes et boueuses. En face surplombe un bel ensemble fortifié d’une église avec un clocher en forme de tour carrée. Il descend son sac à dos pour le mettre sur le siège voisin. Il déplace son blouson. L’autocar freine brutalement, le conducteur jure. Encore debout, il se retient de justesse. Un bagage à main chute lourdement dans l’allée. Une dame peste sur le chauffeur imprudent. Il se rassoit un peu sonné. Il sent la fatigue. Il n’est pas tout à fait midi quand les portes s’ouvrent. Il demande son chemin au chauffeur qui bredouille une réponse. Il n’insiste pas, il descend. L’air frais de la gare routière le saisit, la température a chuté depuis qu’il est monté. Et si c’est encore le sud, plus rien ne lui est familier. Comme un doute, il regarde derrière lui. La soute du car vient d’être ouverte. Il n’y voit pas le sac qu’il porte justement sur le dos. Il se ravise. Des effluves de poulet frit flottent dans l’air. Il cherche du regard mais il n’y a pas de rôtisserie aux alentours. Des gens partent chargés de gros sacs, d’autres arrivent avec des valises. Il s’adresse à un contrôleur en casquette pour avoir une idée de son itinéraire. Il comprend qu’il faudra faire le reste à pied. Il n’ a pas de carte. Il s’éloigne en suivant le soleil vers l’est, la direction qu’il doit emprunter. Le froid le pousse dans la première boulangerie. Les sandwichs sont derrière une vitrine déjà emballés, mais le bout de pain qui dépasse est appétissant. Ils en achètent deux, un pour tout de suite, l’autre pour ce soir. Le beurre et le jambon débordent dans le sachet. Il redemande quelle route prendre. La caissière appelle le boulanger qui arrive des fourneaux avec un fagot de baguettes. Il dit d’emblée que c’est facile, c’est tout droit vers le nord puis qu’il faut bifurquer vers l’est, de toute façon c’est indiqué. Il lui tend une baguette toute chaude sans le faire payer. Il sort encore plus désorienté. Et après une demi-heure à tourner en rond, il tombe nez-à-nez sur un plan de ville.
Cela donne envie de lire la suite….
Merci beaucoup!
Bonjour Michel,
Vous nous offrez le deuxième chewing-gum de livre #1, ça donne envie de relier ces deux inconnus, celui de Brest et le vôtre,
Bonne suite
Catherine
Bonjour Catherine,
Merci d’être passée me lire, et d’établir ces connexions invisibles; intrigué je m’en vais lire l’autre chewing-gum.
oh que j’ai aimé ce qui défilait derrière la votre qu’il regarde ou non – j’ai failli lui conseiller de demander son chemin à la boulangère, mais il était plus malin que le suis il y avait pensé, et le boulanger m’a donné envie de son pain si simplement offert – l’est arrivé dans un bon sud (de la chance 🙂
Merci beaucoup Brigitte d’être passée me lire… peut-être effectivement mon texte évoque un sud idéalisé…
pardon imploré pour la vitre devenue votre, je n’ose me relire davantage
Le voilà bien parti, ce jeune homme que l’on suit très aisément. On le voit lui très bien comme tout ce qui l’entoure. On sent même l’odeur de la baguette offerte. Et on a enfin trouvé le plan de la ville. Merci, Michaël.
Merci beaucoup Anne.
« Il » est tellement présent que je vois avec ses yeux et je vis la situation dans ses pompes : c’est intéressant… je me demande où « Il » va du coup…
elle est jolie cette petite trouvaille : « la température a chuté depuis qu’il est monté » 😉
Merci Ysa-Lou d’être passée par ici !
J’ai beaucoup aimé ce texte de découverte: la force du paysage extérieur qui contraste avec les hésitations et une certaine fragilité du personnage. Merci !