Ce que dit la chambre de nous, de moi, mieux vaudrait l'ignorer activement, si on le peut- Ou tout le contraire.
Ce n’est pas un rectangle, pas un carré, pas un cercle, c’est un polygone, si l’on suit la plinthe celle-ci se brise en segments consécutifs, avec, à chaque changement de direction, des angles plus ou moins aigus ou obtus.
Un grand lit, placé au milieu d’un mur car on ne pouvait pas le placer dans un coin, aucun coin convenable ne pouvant l’accueillir. Un lit comme à la campagne, avec une large tête de lit, un pied de lit, des draps rugueux, un édredon épais. Sur un autre pan de mur, une armoire à glace qui déforme l’image quand on cherche à s’y voir. Avec tout en haut au-dessus d’une corniche, la silhouette d’une panthère noire en plâtre dont la moitié de la tête est brisée laissant apparaitre une tâche blanche dans la pénombre. Le soir, des lueurs courent sur les murs, accompagnées par le grondement des moteurs, des coups de klaxons. En pleine nuit le ronflement puissant d’un homme qui dort près d’un enfant qui veille, terrorisé par les hurlements lugubre d’une folle, au même étage de l’immeuble d’en face. Elle s’agrippe à une rembarde de fer sous un déferlement d’arabesques de style Art déco, en pleine tempête, de l’autre côté de la rue.
La collection de porte-clefs est accrochée au mur vert pâle de la chambre. C’est un ensemble qui tape dans l’œil, une sorte de tout qui surgit, qui s’impose par la quantité, le nombre ou plutôt l’innombrable. Il doit y avoir plus de cent porte-clefs. Chacun témoigne d’une époque traversée, d’un paysage constitué de forêts problématiques, de steppes immenses, de gouffres insondables, de pics inaccessibles. Un paysage où le Grand Organisme à Mille Têtes de la Consommation des Objets félicite ceux qui le traversent de l’avoir traversé ; les récompense en leur offrant un porte-clef de la marque Antar, ou bien affublé d’une mignonette, d’un scoubidou, d’une tête de nègre Banania. C’est la seule décoration de la chambre, mais c’est aussi ce qui la distingue de toutes les autres chambres.
Une chambre avec quatre lits simples, quatre armoires, un lavabo, une fenêtre donnant sur un parc en hiver. Toutes les feuilles des arbres sont tombées et l’eau du bassin circulaire qu’on devine derrière les vitres embuées est probablement gelé. Une porte s’ouvre avec fracas, une voix toujours la même désagréable crie: Réveil ! et aussitôt une lumière forte frappe les paupières closes.
Sur la commode un napperon blanchâtre, sur lequel une grande lampe est posée avec un abat-jour en boyau peint de figures noires; ça semble danser quand ça s’allume. Un peu plus loin derrière un paravent un seau dont on a mélangé de la Javel avec de l’eau, le tout munit d’un couvercle. Sur le mur une pendule à coucou avec deux cordelettes qui pendent. Au sol un tapis de laine épaisse, un tapis volant usé avec tout du long des franges.
La fenêtre est ouverte sur un vaste ciel bleu. On peut, allongé sur le lit entendre ici la mer et les oiseaux. Une chambre qui donne sur un patio si l’on se penche, et l’odeur de pâte cuite, de basilic qui se mêle aux pétarade des Vespa et les quelques notes d’intro de la chanson Michele, à la guitare qu’on y cherche. L’hôtel se trouve à Meta di Sorrento, depuis la chambre jusqu’à la plage guère plus de dix minutes à pied. Plusieurs lits, des silhouettes allongées dans la pénombre, quelqu’un a fermé les persiennes, des voix murmurent. Une grande fille plaisante avec un jeune garçon, ils sont allongés l’un à côté de l’autre, une tension nerveuse qui monte à la limite du supportable, à l’heure de la sieste; puis qui retombe, s’évanouit lorsqu’on ouvre à nouveau les volets. On n’entend plus alors que les cigales.
un peu terrifiantes, sauf la dernière peut-être, belles en leur diversité avec les petites notes étranges