Le couloir moelleux mène tout droit à la pièce des enfants, en vacances là chacun leur tour. Un long tapis masque le plancher. Craquements effacés. En-dessous : la pharmacie. Dernière porte à gauche : la chambre du fond donne sur des arrière-cours en contre-bas, une grisaille douce, vue du premier étage. Le boulevard est à l’opposé, pas de bruit. Lourd lit-bateau en noyer sombre, hérité des aïeuls, style Louis-Philippe elle dit, dans le coin à droite contre le mur. Haut perché sur sa carène. Table de chevet bancale, poisson-pilote lustré portant le fanal d’une petite lampe-pagode poussiéreuse qui projette des ombres fertiles. Au-dessus de la tête, un crucifix, du buis en diagonale glissé au dos. Sur le pont, un édredon grenat, capitonné avec des plumes qui s’échappent par les pores du tissu encore satiné mais gagné par l’usure. Le rêve de Zola dépasse en rouge de l’oreiller éloigné du bord. Cachette visible. Rectangle blanc des draps rêches retournés sur la couverture, comme un ourlet. Deux gros oreillers posés sur le traversin. Une carpette au pied du lit. Papier peint aux rayures décolorées, larges ou minces, en alternance. A gauche, une ancienne machine à coudre Singer sous capot de bois. Fixée à la table de travail, elle a des pieds métal. En-dessous, le pédalier est incliné, rectangle de dentelle noire en fer forgé, comme les pieds. Dans le coin du fond sur la droite, une chaise ordinaire devant la petite table carrée. Sur la table, des restes de laine et des aiguilles, dont une avec mailles montées, première rangée, arceaux inégaux de l’apprentissage. Un magazine Mickey par terre. Un vieux fauteuil bombé, dur, club bridge, en dépôt. Inutilisé. A côté, la cage du serin. Dedans, l’oiseau est jaune d’œuf qui sautille quand il est à découvert. Disparition : cage voilée d’un tissu mat le soir pour que le serin chanteur ne réveille personne au petit jour. L’armoire à glace géante dans le coin du fond à gauche. Collée au mur. S’y reflètent les photos des arrière-grands-parents dans leurs ovales austères sur le mur de droite, en face. Quand la porte de l’armoire est entr’ouverte, pendant que le grand miroir inquisiteur déborde dans la pièce, les objets enchevêtrés à l’intérieur apparaissent : empilement de jeux dépareillés, fourre-tout, pages jaunies des livres disparates et grand tiroir impossible à ouvrir dans le du coffrage du bas. Fenêtre en face, plutôt haute, au milieu du mur restant : traversières, les notes grises des gouttières, les pauvres toits de l’arrière, une brume distillée derrière les carreaux à partir de l’odeur du café qu’on torréfie à l’extérieur, des boulets remontés de la cave, de l’appel du vitrier, et du mal que se donne le soleil de Reims pour éclairer la chambre au nord.
On sent bien « cette chambre au nord » habitée par les matières, les objets, les odeurs. Elle a sa vie à elle.
c’est vrai, j’ai remarqué aussi, ces tiroirs du bas toujours rechignent à s’ouvrir
je retiens « Le Rêve » de Zola qui dépasse comme une invitation au sommeil, les draps blancs un peu rêches et les deux oreillers
eh oui le bois gonfle avec l’humidité et le temps et empêche le tiroir de glisser… fine observation…
le elle qui accueille les enfants tour à tour, qui se sert de sa machine, qui dit le style, et toute la vie de cette pièce