Dymo ! Le nom du Graal, nom composé du préfixe dy, qui signifie séparé et du radical mo, qui signifie, là, les interprétations sont controversées. Écriture phonétique ? abréviation ? Sésame ?
La dymo est un objet qui tient dans la main composée d’un cadran circulaire où les lettres de l’alphabet et les chiffres apparaissent en rosace, le tout encastré dans un manche plastique dont la partie intérieure se resserre sous la pression de la paume. On tourne le cadran qui fait alors un bruit d’engrenage aussi gratifiant que le rouleau de la machine à écrire. On choisit une lettre qu’on placera au centre, on presse la poignée et un ruban autocollant rouge sort de la machine avec la lettre imprimée en relief. Machine à écrire de poche qui crée banderoles, étiquettes, qui nomme. L’avant garde de la papeterie. Celle qui a une dymo détient le pouvoir ineffable de pouvoir désigner ce qu’elle veut, imprimer, étiqueter. Statut de choix qui n’est pas accessible au premier venu, il faut passer des épreuves pour pouvoir l’approcher. Tout le prestige et l’aura de la dymo viennent du désir de l’avoir, de son recul permanent. Arriver à passer tous les obstacles.
La première épreuve, décidée par la grande prêtresse , ma sœur, consiste à sauter d’une branche du marronnier. Pas une petite branche facile à attraper du sol, non, la branche doit être hors de portée, nécessite l’escalade du tronc, exige de sauter de suffisamment haut pour qu’on puisse avoir le vertige. Une fois atterrie devant l’œil sévère du juge, les compteurs sont réajustés. C’est pour du beurre, beaucoup trop facile. Deuxième épreuve, faut recommencer, plus haut, beaucoup plus haut, et là on aura la permission de toucher à la dymo. Alors les bras suspendus dans le vide, beaucoup, beaucoup plus haut, il faut se laisser tomber. Parfois, on retombe bien sur les pieds mais les jambes se sont tellement préparés à faire le rebond qu’on s’entrechoque le menton sur les genoux à s’en couper la langue, pire encore, on tombe mal, souffle avalé, dents qui claquent, choc ! quelques secondes à se demander si on n’est pas mort ,la dymo réapparaît comme un soleil renvoyant le reste à des broutilles.
Je suis adoubée à pouvoir toucher la Dymo.
Elle m’ attend dans le tiroir. Ma sœur la retire comme on sort le ciboire du tabernacle, la pose sur la table, on va pouvoir lui demander d’écrire un mot, même de l’écrire soi même, le désir se rapproche, va être exaucé, mais on en perd ses mots, on ne sait plus ce qu’on veut lui demander. Peut être qu’on ne sait pas encore écrire, alors on presse juste le manche. De la bouche de vérité, les lettres sortent dans un désordre azerty, message sibyllin que l’on collera sur ses livres. Le dernier oracle de la dymo qui peut se taire tout à coup, faute d’offrande, faute de nouveau ruban.
Très chouette ! Mais oui, on se demande pourquoi comment de tels objets pouvaient avoir un tel prestige. Vous le dites : le pouvoir de nommer, d’étiqueter. Très joli texte, merci, par où l’on se rapproche de ce qui compte, vraiment.
Merci, c’est en écrivant ce texte que je m’en suis aperçue.