#enfances #06 | Echos

Suzanne

Miel étalé sur une tartine de pain grillé, voix des goûters trempés dans le café au lait – plus tard viendra le thé – Douceur du miel dans la gorge de celle qui appelle et dispose sur la toile cirée les bols au vieux décor de Gien.

La parole dans le medium, brefs écarts vers l’aigu, telles les cordes du violon frottées par l’archet, un long récitatif des vocales vibrant mezzo forte, conversation. En contrepoint les cris de l’enfant éveillé.

Elle enrage de ces importuns du matin, parents d’élèves inquiets de l’examen à venir. Ne peut-on reposer la voix sollicitée jusqu’au jeudi ? La paille de fer gratte les marches d’un escalier fatigué.

Eclats, chutes, fracas, colère, c’en est trop ! Les anneaux de fonte du fourneau chus en ribambelle.

Rire de soi, rire de nous, laver à grande eau la bassine de cuivre rouge de confiture, éclaboussé par la réga(rigo)lade.

Fine

Les mots se précipitent, perdent des bribes, fouettés gaiement par le parler de Rosporden.

Converser au rythme des giclées mousseuses sur le fond du seau, voix de tête, nasales du« kan ha diskan ».

Frayeur dans le regard, descendue dans la gorge resserrée, les couleuvres (parfois vipères, c’est s’lon) muettes pendues au pis de la noiraude.

Du fond de ton gaster, cet âne qui chantonne…

Comme un murmure dans la nuit, émaillée de Léonard, la ballade du roi Gradlon.

Suzanne

Ta voix pour parler du jardin, des travaux à faire, saisons après hivers, cailloux de l’allée roulant sous tes sabots.

Dans le soir glacial, la cave noire, roulement des boulets versés dans la chaudière, « à ton tour, demain » des graves aux aigus, les mots remontent l’escalier.

« Non ! », comme un fouet, comme la longue règle de bois abattue sur le bureau.

On l’appelle, bouche entourée par les mains ouvertes, en porte-voix, il geint doucement, truffe piquée par une guêpe, on le console à petits mots, adoucie, la voix.

Diction parfaite, Corneille au sommet, La Fontaine en majesté, amples voyelles et diphtongues à peine ralenties par la glèbe berrichonne.

Fine

« Salades de pleine terre, qui veut de mes salades !», harangue rue Edgar Quinet, un début dans la vie.

Lâcher-prise, laisser-brides aux chevaux lourds venus du bas-ventre, assoiffés d’eau douce.

Saliver, faire saliver, langue en éveil, oreilles en rappel, nez à l’écoute, elle annonce le menu.

Les lunettes au ras du France-Soir, elle bégaye de rage, lisant à voix haute le récit d’Oradour, «ah, les boches, les b..boches ! ».

Flutée, fluante, fluette, dans sa chambre aux rares bibelots, « ce sont mes souvenirs ».

2 commentaires à propos de “#enfances #06 | Echos”

  1. Hej Piero
    Quand la voix vient du ventre, qu’en dire ? Littré admet GASTER comme synonyme d’estomac, je le trouve plus élégant. Fine était quelque peu ventriloque (gastriloque ?) et bretonne absolument. Quant à la règle de Suzanne, elle s’abattait parfois sur le matériel de l’Ed.Nat., je l’entendais depuis la classe voisine en même temps que son « NON ».
    JMG