Dans ma nouvelle école ce n’est pas comme dans celle d’avant. Je m’applique bien pour faire comme les autres. La maîtresse a pris un très grand cahier que je ne connais pas et toutes les élèves autour de moi sont devenues contentes, d’un coup. De leurs cartables elles prennent un petit carton et une enveloppe. Je ne comprend pas ce que c’est. Je regarde aussi dans mon cartable, mais je n’ai pas de carton et d’enveloppe. Maman l’a peut-être oublié. La maîtresse appelle les élèves un par un. A tour de rôle, elles viennent lui tendre le petit carton et lui donner l’enveloppe. Dans l’enveloppe il y a des pièces, la maîtresse les compte et note le total dans le très grand cahier et sur le petit carton puis les range dans une boite qui ferme à clé posée sur le bureau. Parfois elle dit « Aujourd’hui tu peux choisir un cadeau », alors l’élève hésite entre une image, un buvard rigolo, une petite règle colorée, un protège-cahier. Elle appelle tout le monde mais elle ne m’appelle pas. Je voudrais moi aussi choisir un cadeau. Je le dirai à Maman ce soir.
Elle l’a dit à ses parents qui n’ont pas compris de quoi il s’agissait. Elle a pourtant expliqué avec le détail de son regard d’enfant le rituel de la collecte mensuelle de la caisse d’épargne scolaire tel qu’il se pratiquait en 1969 dans cette école primaire de Toulon. Et certainement dans toutes les autres écoles de la ville. Elle a demandé à avoir elle-aussi le carton et les pièces mais ses parents ont refusé. La encore, elle n’a pas compris pourquoi.
Je l’observe pendant toute cette année scolaire au moment de l’épargne. Elle s’efforce d’être indifférente, de ne pas espérer que malgré tout sa mère ait mis dans son cartable le carton des dépôts et la petite somme dans une enveloppe. Je partage son impuissance, chaque mois, lorsque les autres élèves choisissent une pacotille offerte en échange de cet infime flux financier et l’exhibent fièrement sur leurs bureaux jusqu’à l’heure de la sortie des classes. Et j’admire sa volonté d’admettre que finalement ces babioles, elle n’en a pas besoin.
J’aime beaucoup votre texte, le monde des enfants est à côté du monde des adultes, on a tous connu cela. merci.
Merci Laurent pour ta lecture et ton commentaire.