J’imagine L. dans ce décor de lanterne magique de l’enfance, je l’imagine dans un décor enchanté tournant en boucle, disant : montagne, rivière, prairie. Et encore. C’est comme courir après un bus qu’on n’attrapera jamais. C’est comme dans les rêves. Mais pas de bus, pas de rêves, juste la réalité fuyante pour sa plus grande joie. Cette expérience-là. Devant lui, le chemin s’enfonce jusqu’à la pâle lisière verte. À droite, le ruisseau s’enfuit à travers le pré. Mais s’il tourne encore la tête, la même image surgit, le même décor dupliqué. Il ne reconnaît plus derrière lui la route qu’il vient d’emprunter. Se disant, j’étais bien là hier à la pêche, ma canne est tombée puis on cherchait des vers accroupis dans la boue. Et maintenant. Devant lui, le chemin prend la forme de celui qu’il vient de quitter, l’eau du ruisseau déborde jusqu’à ses pieds. Il patauge dedans déjà. Pensant, les truites remontent le torrent là-bas, jamais elles ne parviennent si haut. Quelque chose comme la source, quelques brins d’herbes emmêlés sur eux-mêmes, une marre de boue. On imagine une origine miraculeuse baignée de rayons dorés et on laisse échapper le plus souvent le point minuscule où le réel déborde. Au sol, il n’y a rien, ou presque rien, autour le paysage ne cesse de se répéter en boucle. Tournant la tête à gauche, le ruisseau s’étoile à travers le pré. Tournant la tête à droite, encore jusqu’à l’infini. La source recompose l’espace autour d’elle. Plus besoin de savoir par où repartir. L. s’assoit dans l’eau boueuse agitée de gargouillis, rêvant déjà au monde là-bas où tout commence, où tout sans cesse recommence dans un grand tournoiement de verdure. Fermant les yeux pour dupliquer le ciel bleu à l’intérieur de lui, avec les constellations de lumières sur les paupières closes. Pensant que perdu ne pouvait rien signifier à l’endroit même où les choses sont, où elles restent toujours.