Le lamantin du zoo, son énormité lente, qui flotte, emplissant de sa masse grise l ‘immense vitre d’observation.
Le mérou, son air revêche parmi les plus petits poissons agités.
L’orvet glissant son fuselage argenté entre les herbes verdies de pluie.
Le propriétaire d’un grand perroquet au bec dur, laissant aller et venir l’oiseau dans la maison comme un chat.
La danseuse en tutu rose se dressant d’un coup pour tourner sur elle-même quand on ouvre la boite à musique. Son chignon noir comme ses chaussons, trois traits d’un pinceau si fin.
L’intérieur du piano demi-queue, les marteaux en bois frappant vite les cordes quand la grand-mère joue. Tenter de suivre des yeux la musique ainsi matérialisée.
Les neiges éternelles au sommet des montagnes, panorama d’un appartement d’été. Se répéter qu’elles sont éternelles.
Les sonnailles des vaches paissant dans la montagne, suivre dans sa tête le mouvement des bêtes qu’on ne voit pas mais dont la cloche tinte.
La robe luisante du cheval parqué près de la route, ses os, ses muscles, bougeant sous la peau quand il s’avance, ses grandes dents jaunes saisissant la poignée d’herbe fraîche sur la paume. Le contact de ses lèvres, de son museau poilu.
Le magnétophone gris à bobines délivrant les voix des personnes mortes et qu’on n’a pas connues.
Le parfum du grand sapin à côté de l’église, sur le chemin du collège, le matin en hiver quand on part dans la nuit.
La promenade dans une vraie forêt quand on ne connaît que des bois.
Le vieil appareil à regarder des diapos en relief, son plastique gris cassant qu’on porte devant les yeux comme des jumelles, les vues de villes inconnues cachées dedans.
L’oiseau jaune chantant si fort dans la cage.
Le bruit de pluie torrentielle que font les feuillages des peupliers sous le vent, même en saison de sécheresse.
L’argenterie et le cristal des repas de fête, le cérémonial qu’impose la fragilité de ces souvenirs.