Couronné de jaune, habillé de vert vif, chemise à col boutonnée de noir, Babar est l’éléphant roi de son enfance. Plus efficace à mâchonner que des oreilles de lapin, qu’un lange brodé accroché au bout d’une chaîne en plastique, sa trompe grise s’est progressivement déchirée. Pas un Babar donc, mais des Babar, la même peluche rachetée, fiévreusement recherchée quand elle n’était plus disponible en magasin, commandée, livrée, négociée à chaque fois comme étant, neuve, aussi désirable que son avatar à la trompe en loque, la face éventrée laissant sortir autour du tissu effrité, du trou béant noir, la mousse neigeuse de son rembourrage. La salive a systématiquement effectué son travail de sape, et le mouvement crispé du doigt sur le duvet visqueux imprégné de bave, métamorphosant l’animal royal en un immonde chiffon nauséabond. Accusé de tous les maux, mauvaises odeurs, allergies, asthme (je me souviens du pachyderme brandi dans la chambre d’hôpital, désigné coupable), la peluche fétiche a subi plus de maltraitances encore que celle du dommage de sa face : tours en machine à laver à haute température, séquestration dans un sac plastique plusieurs heures dans le congélateur. En vue de préserver la mémoire, de garder trace du passé, chaque exemplaire a été soigneusement conservé, en dépit de son état hautement dégradé, dans des sachets à fermeture hermétique, comme on mettrait sous scellés, les vestiges d’une enfance encore non élucidée.
Ah Babar !! il y a un suspens latent, quelque chose d’intrigant dans ce texte, tous ces Babar en peluche conservés « dans des sachets à fermeture hermétique »… On pressent qu’un récit comme un polar pourrait s’élancer sur les traces de cette « enfance encore non élucidée. »
Pauvre Babar encore si vivant !
Je pense à l’idée du polar Babar point de départ !