Je ne veux pas croire que j’ai perdu ta voix mais je suis incapable de la dire. Je ne peux avoir perdu ta voix puisqu’elle est en moi et que je te parle, en regardant la photo que j’ai prise de ton visage balayé d’ombre dans une pinède au versant final de ton âge mur, ou sans image, mais tu ne réponds pas et ce me fut cruel manque mitigé de tendresse résignée avant de devenir, le temps passant, maintenant que j’ai atteint ton âge un compagnonnage de nos deux renoncements apaisés à la vie bruyante (même quand chez moi il se masque sous un flux de mots).
Tu as toujours eu la parole rare, du moins dans notre cercle familial, nos parlions trop… et puis si souvent, pour de longues périodes tu n’étais pas là et nous n’avions d’écho de ta voix que par tes lettres adressées au groupe des enfants. Nous la reconnaissions pourtant comme un élément naturel de notre monde à chacun de tes retours. Tu étais dispensateur de plaisanteries idiotes qui faisaient notre joie d’être rituelles et répétées | et j’ai cru un temps retrouver ta voix en les répétant comme je tentais de prendre l’accent toulonnais et prononçant môve, jône, rôse, mais ça n’était pas satisfaisant.
Tu étais homme de paroles brèves dans notre cercle et peut-être les deux ou trois vidéos familiales tournées vers la fin de vos vies, dont je ne sais ce qu’elle sont devenues, contiennent elles dans le brouhaha de votre descendance ta voix lâchant quelques mots, une consigne, une interrogation. Parce que si je n’ai pas souvenance de t’avoir entendu crier de colère | au pire c’était la tournure d’une phrase qui avec précaution exprimait un reproche d’autant plus frappant | tu avais une voix forte qui portait et tu étais assez satisfait lorsque, devenu un jeune père de cinquante ans tu as complété ta retraite en devenant, loin de ta de tes mers, directeur d’une usine à Cholet, de refuser pour t’adresser à l’ensemble du personnel en 1968 le porte-voix que te passait un syndicaliste, comme si tu étais sur ta passerelle.
Mais je n’ai pas le grain de ta voix… elle t’allait simplement. Elle était ferme, avec des souplesses qui faisait de toi un conteur merveilleux quand tu nous lisais, et même le premier fils qui n’avait alors qu’un ou deux ans se taisait et t’écoutait bec ouvert, un des contes de Perrault ou quand tu racontais des histoires de mer, réelles, transformées ou inventée, toujours pleines d’images qui me faisaient rêver. Non je n’ai pas le grain de ta voix, je sais simplement que tu possédais un joli baryton inculte dont tu étais assez fier, et que nos sorties à la voile à Brégançon ou dans les îles d’Hyères, étaient assaisonnées de chansons napolitaines où elle s’étirait ou de chansons à virer, sans ornements, solidement rythmées.
(le comique de répétitions hein) j’adore (on l’entend) (merci à vous)
un peu agaçant mais on aurait été déçu s’il y avait manqué
merci
« je ne veux pas croire que j’ai perdu ta voix mais je suis incapable de la dire. »
et pourtant à la fin de votre texte je l’entends
merci
Tout cela à partir de la voix ! C’est magnifique. Tout un personnage avec chaque fois des décors qui se déplient. Parole rare, parole brève, l’épisode du porte-voix, la voix ferme avec des souplesses pour conter. Merci, Brigitte, beaucoup aimé.
je me réveille en retard toute réconfortée par vous … et comme suis en retard vais tarder à aller vous lire davantage que ne l’ai fait – shame