Ne pas rester au lit quand on est malade, c’est plutôt ça l’expérience de l’enfance. Ne pas rester au chaud, ne pas avoir de pantoufles, ne pas porter de robe de chambre. Marcher pieds nus sur le carrelage. Ne pas s’enrhumer par les pieds, ne pas attraper froid, ne pas laisser la chaleur s’échapper par la tête. Ça n’existe pas. Renifler, ne pas avoir de mouchoirs. Ne pas porter de bonnet ni de moufles. Se tenir dans le courant d’air. Comme si le corps n’existait pas. Dans cette expérience-là de l’enfance, il n’y a pas de petites maladies qui fassent garder le lit ; il n’y a pas de rhumes qui fassent rester au chaud et mobiliser tous les soins. Ils existent mais ils sont négligeables. Le corps est négligeable. Il y a les maladies plus importantes, les oreillons par exemple qui arrachent un hurlement au milieu de la nuit. Mais si peu. Dans cette expérience de l’enfance, la maladie c’est un vrai jour de congé, c’est un jour de sortie, une vraie vacance. C’est un jour de fête que le corps ne gâche pas. On est un peu malade mais on ne reste pas au lit, je l’ai déjà dit, on en profite pour faire ce qu’on ne fait pas d’habitude. Elle a dix ans, elle explore les magasins sur les Grands Boulevards à Paris avec sa mère. Il y a déjà les décors de Noël, c’est un peu la fête. Elle prend le RER, se promène en ville quand on est en classe. La maladie est un prétexte. Elle pense qu’elle n’existe pas. Dans cette expérience de l’enfance où le corps est tenu à distance, la maladie fait partie des réalités effaçables. On apprend à effacer, à s’effacer. Alors répéter, ressasser jusqu’à s’oublier. Le corps est un étranger. Étranger est le corps. Est le corps étranger. N’est pas le corps. Est étranger. Étranger corps. Corps étranger. Étranger le corps, dans cette expérience de l’enfance, de la maladie, de la maladie de l’enfance.
J’aime bien cette expérience de l’enfance qui avance à coups de « ne pas ». Les infinitifs donnent une dynamique au texte. Heureusement, c’est quand même jour de fête !