Postée sur la plate-forme surplombant la grange pleine de foin, elle regarde vers le bas, les yeux écarquillés. Le dénivelé est énorme. Se pencher. Pourquoi ? Tête en avant, le reste du corps basculé vers l’arrière, elle s’arrime au plancher, jupe rouge coincée entre les jambes, genoux verrouillés. Le vide représente cinq fois la hauteur de son corps. Calculer. Ma taille multipliée par cinq aujourd’hui ? Je ne saute pas. Je la revois s’approchant du vide, toujours plus près, tortillant les pieds sur la droite et la gauche, glissant millimètre par millimètre vers le bord, s’éloignant peu à peu de ce qui la soutient, ses orteils finissant par reposer sur l’air, le début de la plante des pieds aussi, elle déverrouille les genoux, fléchit les jambes, oscille au bord de la chute, elle jubile, bascule en avant en arrière, résiste, se met à rire, ouvre grand la bouche et pousse un cri, puis soudain elle recule d’un grand pas, pousse sur ses jambes et se propulse dans le vide, sa jupe rouge claque comme une voile tandis qu’elle déplie les bras, s’appuie sur l’air et voilà qu’elle vole ou presque, battant des ailes avant de retomber dans le foin, jupe en corolle autour des hanches, elle atterrit dans un pétillement d’herbes sèches qui picotent ses jambes nues, elle s’enfonce dans la paille, y creuse son empreinte et s’applaudit dans un grand éclat de rire. Je ris avec elle, me rappelant ce sentiment de puissance, cette sensation de légèreté dans l’envol quand durant une fraction de seconde qui s’étire pour l’éternité le corps reste suspendu au-dessus du vide, puis vient la douceur de la chute, l’ensevelissement dans le foin. La lumière filtre entre les planches de la grange révélant une poussière dorée qui danse autour d’elle, parfume ses cheveux, illumine sa silhouette, elle l’avale à grandes goulées puis satisfaite se roule en boule dans le nid qu’elle s’est creusé. Elle a volé. Ou presque.