Souvent le soir, presque chaque semaine, le mercredi ou le samedi quand il n’y a pas école le lendemain, nous jouons ensemble mon petit frère et moi. Notre mère nous laisse nous amuser avec une boîte de fer blanc remplie de boutons. Je n’ai jamais su la raison pour laquelle cette mise à disposition n’est jamais permise dans la journée même les jours pluvieux. Les formes, les tailles, les matières sont fort variées, ronds pour la plupart, des tout petits aux plus grands, en corne en plastique en porcelaine en nacre en bois en laiton en cuir. Je repère chaque fois celui incrusté d’une abeille dorée en relief sur un tissu noir, je souhaite chaque fois qu’elle prenne son envol, je distingue aussi celui de couleur marron en tissu avec son centre rose, il appartenait à un manteau de quand j’étais plus petite encore. Je l’aime bien, il me fait comprendre que j’ai grandi. Je réalise des contours de maisons et un village entier, je mélange les boutons ou au contraire je les assemble par couleur, par matière par forme et je fais des ensembles qui peuvent représenter des personnes, des animaux des arbres et je me raconte des histoires. Mon petit frère fait des trains, des serpents, des chenilles ou vient rendre visite aux nouveaux habitants de mon village en construction. Je crois que j‘aime mettre un peu d’ordre dans tout ce mélange mais chaque fois dès que j’en trouve un il me semble que j’ai plaisir à le rompre pour mieux recommencer. On joue par terre sur un carrelage froid mais peu nous importe. Ma mère nous prépare des pommes au four bien caramélisées, tout sent si bon dans la maison et quand on entend – c’est prêt mes petits –, on se lève et on court s’asseoir autour de la table de la cuisine. Maman sourit heureuse de nous voir si contents, papa nous rejoint aussi très vite, on est drôlement heureux.
Le vin chaud avec mon grand père près de la cheminée, à côté de lui son flacon de glycérine dont il s’enduit les mains asséchées par le froid et le travail à la vigne ou au jardin. Ma grand-mère m’oblige à me coucher tôt, j’obéis mais lorsqu’elle-même regagne son lit je rejoins mon grand-père qui m’attend. Je m’assieds à côté de lui sur la chaise en paille, allonge mes jambes près du feu. Il me tend un petit verre à liqueur dans lequel il verse un peu de vin chaud sucré et parfumé avec de la cannelle. Et on parle, je ne sais plus de quoi, je me souviens du mouvement de nos lèvres qui aspirent le liquide en émettant un son particulier, parfois il y a une odeur de fumée et mon grand-père dit – c’est le vent qui tourne –.
Le manteau bleu réalisé par ma mère, celui qui est rabattu sur ma tête par la maîtresse, celle qui ne supporte pas que je persiste à écrire de la main gauche, celle qui ne peut s’opposer à la décision de mes parents. Quinze minutes avant la sortie de l’école, nous devons faire un temps calme, assises, déjà parées de nos manteaux, sous la consigne yeux baissés, tête penchée sur notre bureau, silence. Je me souviens du jour où j’étouffe sous le poids du manteau, sanctionnée parce que je n’ai pas fermé les yeux. À la suite d’un gargouillis ventral j’aggrave mon cas quand je dis – mon ventre danse la samba –, doublement agacée la maîtresse m’envoie au coin sous les rires des élèves. Enfin de l’air.
trois espaces qui ne semblent pas forcément appartenir au même monde, trois mondes en fait, celui du jeu de boutons avec le petit frère et la présence de la mère qui fait un bon dessert, celui avec le grand père presque coquin et plein d’amour, et le dernier redoutable avec cette maîtresse agacée
des scènes très bien décrites avec peu et pourtant l’essentiel…
j’ai beaucoup aimé… merci chère H.
Deux mondes de tendresse et contraste avec le troisième .
le lien cependant : l’intervention des parents auprès de cette institutrice qui n’a pu m »empêcher d’écrire de la main gauche
merci de ton passage F.
oh ma boite à boutons oui… et ce que les enfants sont capables d’en tirer, merci Huguette !
la complicité avec le grand-père si précieuse (mais le vin chaud… pas bien (sourire)
et la chute du troisième texte au moment où je me préparais à avoir pitié
Je ne couds pas mais j’ai toujours une boîte à boutons à la maison, un lien sûrement.
Sensible à votre écho Brigitte