#enfances #08 | Les signifiants

Une boite

Dans cette famille où s’est perdu le goût des cartes à jouer, on éprouve, parfois, le besoin de se réunir autour d’un jeu de société. « On se fait une petite partie ?». Il tend une boîte sur laquelle est représentée une famille identique à la sienne qui joue au jeu contenu dans la boîte. La boîte elle-même est représentée sur la boîte, au centre de l’attention de la famille où chacun arbore un grand sourire. « Alors, ça dit à quelqu’un ? »

Le Tartare

Les vendredis midis, on assiste à la préparation du tartare. Sur la toile cirée, il aligne un à un les ingrédients, puis creuse un puits dans la viande rouge. Ketchup 2 cuillères à soupe, moutarde 3 cuillères à soupe, mayonnaise 1 cuillère à soupe, câpres 3 cuillères à soupe, tabasco 10 gouttes, Sauce Worcestershire 20 gouttes, 2 échalotes hachées, 5 cornichons hachés, fines herbes, basilic 10 feuilles, huile d’olive, herbes de Provence, sel, poivre, cumin. Il termine par un filet de vinaigre balsamique. Et la viande devient noire. Et la viande devient liquide.

Se fringuer

Dans la rue piétonne de la grande ville, on l’a habillé des pieds à la tête. Et tandis qu’il se contemple dans une vitrine, attendant que sa mère sorte d’une pharmacie, tandis que, dans la vitrine, il contemple ses nouvelles converses, son jean baggy, son blouson de baseball floqué d’initiales entrelacées et sa casquette San Francisco 49ers rouge, trois garçons de son âge s’approchent de lui. « Elle est cool ta casquette, tu me la donnes ? », « ouais il va te la donner, elle lui va pas », « t’aimes le football américain, toi ? ».

« J’attends ma mère », c’est ce qu’il répond.

A propos de Nicolas R.

Je vis au Mozambique. Prof doc de hasard (heureux) depuis quelques années. Facteur longtemps. Écrire. Pétrir. Pécrire ? Pécrire v. tr. (3e groupe) Étym. : De pétrir et écrire, formé sur le modèle de termes évoquant l’action de malaxer une matière pour lui donner forme. L’idée sous-jacente est celle d’une écriture travaillée, façonnée comme une pâte, qui fermente et prend du corps avec le temps. Prem. ut. : Attesté au XIIIe s., dans un fragment de poème attribué à Hugon de Belloc (?-1243) où il est écrit : « Pécrire n’est de valour se ce n’est de labeur, Bien vaut un mot frainé qu’un livre à l’erreur. Qui pécrit en silence et en main ferme, Il s’en suist au texte, que sa main étermine. » 1. Façonner un texte avec un geste physique, presque tactile, comme on pétrit une pâte. Pécrire implique de travailler les mots, de les modeler pour qu’ils prennent forme. – « Comme on retourne la terre, je pécris. Lorsque le sol se réchauffe et que les racines se déploient, les mots fermentent dans le noir et remontent à la surface comme les petites bulles d'air dans un levain » (Giono, Entretiens). 2. Retravailler sans fin un texte, le malaxer et le reformuler jusqu’à ce qu’il prenne une forme définitive, solide et concentrée, comme une pâte qui fermente pour libérer ses arômes et se structurer. – « Il pécrit, malaxant chaque phrase jusqu’à ce qu’elle prenne forme, comme une pâte laissée à fermenter, tissant ses réseaux de sens et de son, se concentrant sous la pression de son propre poids, jusqu’à ce que le texte devienne lui-même un acte complet, prêt à se déployer sous ses propres lois. » (Professeur Augustin Lavergne, Pour Flaubert, Université de Poitiers, 1869). 3.Écrire de manière viscérale, mais aussi contemplative, en laissant les souvenirs et les images du monde se distiller dans le texte, jusqu’à ce qu’ils deviennent presque indiscernables de la matière même de l’écriture. – « Pour pécrire, il faut avoir vécu, respiré le monde avec chaque pore de son corps, avoir laissé chaque souvenir se mêler à la chair du texte, que ce soit la brume d’une mer lointaine ou la chaleur d’un matin d’automne. Les mots naissent, ils s’élèvent, non pas comme des pensées, mais comme des événements vivants, façonnés par tout ce qui a été vécu. » (Rilke, Levain de nuit). 4. Écrire d’une manière viscérale, en modelant les mots comme on pétrit une matière brute. – « Je pécris, je pétris, j’écris, j’écrase, j'éreinte, je l’épaissis, je le mâche, je le crache, je le reprends, je le rend, prêt à trancher la masse » (Christophe Tarkos, Le Pétrin). – « Il pécrit la phrase, la tordille et la râpouille, la triture et l'empatouille, qu'à ses cris il s'exhultaille; il l’enroule et la dépiotte, la secoue comme un vieux linge ; il la grommelle, la martèle, la braille, jusqu’à à la fendure. Puis il la gicle, la glisse, la coupe en morceaux, la mélange et la pétrit encore. Et quand enfin la phrase s'amoncelle et soupire, il la reprend, il la bouboule et la pousse dans la fournaise » (Henri Michaux, Levain fini).

3 commentaires à propos de “#enfances #08 | Les signifiants”

  1. Les chutes sont terribles, le premier texte me frappe, personne n’est décrit, simplement l’absurde boîte en carton, et pourtant on sait que personne n’a envie d’être là, l’effet est très drôle, le reste marche bien aussi, deuxième paragraphe qui s’enfonce dans le trash et le dernier qui à nouveau plante un personnage. De petits croquis sobres et bien amenés.

    • Merci pour le retour, Marion. Je n’aime pas trop « arbore un grand sourire », mais je n’avais pas de solution de rechange. Deux pages word, jusqu’à ce que je m’intéresse à la boite. Tout s’est débloqué à partir de là, et j’ai laissé tomber le reste. Pour le tartare (que je voulais appelé « Steack Barbare »), c’est une sorte de Cène païenne qui a voulu se dessiner, avec transmutation à la clé. J’ai craint d’en faire trop, mais j’aurais aimé aller plus loin dans ce sens. Quant au dernier texte, ce « tandis que » m’a beaucoup fait douté, mais j’ai aimé la sorte d’effet miroir/vitrine qu’il proposait.

      • Je n’ai pas tant fouillé dans le détail à la lecture, il y a certainement des ajustements à imaginer, mais les idées sont pas mal