Bleu ciel le berceau-landau de poupée en osier et rotin soudé sur un cadre de fer muni de quatre roues rouillées, petits barreaux d’osier parallèles ou tressés, comme une cage à ciel ouvert en forme d’ovale resserré en son milieu, augmenté d’un double arc en rotin constituant la capote pliante et d’un guidon rigide pour le déplacer.
Transformé suivant les heures, les jours, les saisons en moyen de transport du plus courant au plus saugrenu. Courant, le landau, la sortie dans la rue, pour promener le poupon en celluloïd — un nitrate de cellulose camphré, le premier plastique — et la poupée Bella aux yeux clignotants. Allongés ou assis dans l’espace du berceau douillet lorsqu’on voulait bien y installer un matelas, un coussin et un édredon brodé avec une coccinelle. Un jour de fête, un tissu fleuri avait agrémenté son contour et habillé les deux demi-cercles en rotin pour les transformer en capote pouvant abriter du vent ou protéger du soleil. Le landau avançait lentement, dignement. Courant, le berceau, il se transformait le soir en lit en revêtant une couverture, en mettant les tenues de nuit à ses occupants. Plus inhabituel. Posséder de solides roues de fer et se contenter de n’être qu’un landau et un lit tranquille ne me suffisait plus. Faire germer d’autres idées, destinations, usages malgré la nécessité de prendre en compte l’axe dévié de l’une des roues, entraînant virages bancals et limitation de vitesse. En véhicule de transports en tous genres son horizon s’élargissait. Transport de denrées, conserves avec livraison en temps et heure à la grand-mère, généralement satisfaite sauf le jour de la casse du bocal de conserve d’abricots. Incriminer la roue défaillante ne respectant pas la ligne droite. Travail de nettoyage et de récupération de morceaux de verre qui rougirent doigts et osier. La peinture bleue par bonheur empêcha l’imprégnation irréversible du sang. Transport de raisins, ceux que le grand-père faisait sécher jusqu’à Noël. Un jour, les tiges trop sèches se sont cassées, difficile de ramener sa cargaison sans crainte. Après les denrées et les risques encourus, modifier nos ambitions. Pourquoi ne pas organiser une promenade du chat ? Emporté et installé à un moment de détente le chat se laissa faire, fut recouvert de l’édredon fleuri, dormit un peu jusqu’au moment où il émergea, griffa et déchira mes tissus et prit la fuite. Le plus saugrenu et risqué fut d’organiser une piste d’envol dans le grenier à très haut plafond. Une accumulation de cartons judicieusement empilés, sur des escabeaux de hauteur différente, devait permettre après avoir confectionné deux ailes en papier, de prendre son envol. Ses craintes étaient fortes lorsque son espace fragile s’est vu occupé par cette fillette intrépide qui rêvait de s’envoler. Avec son sac, sa bouteille et un paquet de biscuits elle était sûre d’atteindre la lune. La suite, dégringolade des cartons, de l’enfant contusionné et du berceau-landau avec une roue en moins et l’écrasement de sa structure, de sa forme d’origine.
Jamais réparé. Il a poursuivi sa vie dans un coin du grenier, dans une solitude paisible jusqu’au jour où la maison fut vendue, où la fillette devenue grande ne supporta pas le chagrin de cette disparition, comprit trop tard l’urgence de son sauvetage, il avait déjà été envoyé à la déchetterie pour son ultime transformation.
Tristesse
pas seulement j’espère
merci de votre passage
MA
toute une vie passionnante pour ce landeau-berceau capable de transporter toutes sortes de marchandises, et même un chat peu réjoui de se faire traiter comme une poupée !
délicieux…
un berceau au destin peu tranquille
merci Françoise de ton passage
un compagnon infatigable (ou presque)
un compagnon de jeu inoubliable
pouvoir de l’écriture de le réanimer un peu
merci Brigitte de votre écho
Riche et merveilleuse vie de fer et de rotin … avec l’enfant aux ailes de papier
merci Nathalie d’avoir suivi la vie tumultueuse de ce berceau