Ferrailles dorées, droites, courbes, tenues ensemble par des petites traverses en bakélite noire, les emmancher les unes dans les autres pour faire un long circuit, monter dévaler des collines de boites à chaussures couvertes de ce papier marron moucheté que tu utilisais aussi pour, en décembre, créer une grotte au dessus de la crèche. Les paysages que ça ouvrait, les petits détails, un chef de gare, une barrière qui s’ouvre et se ferme, un wagon frigorifique siglé STEF, un wagon de céréales, un wagon voyageurs, une locomotive qui les entraine dans des paysages qu’elle crée au fur et à mesure de son avancée, dans la vallée une vache les regarde passer, des ânes, deux chevaux, un laboureur, des herbes folles et sèches, des palmiers tiens une oasis, trois cactus, une girafe, un zèbre, deux spahis, un maharadja, un tigre, attention à ne pas te faire manger. A la petite gare au nom à peine lisible écrit trop petit, un éléphant trop gros, tout le monde descend casque colonial sur la tête, la princesse nous accueille bras chargés d’ylang ylang, mon père le roi vous attend en son palais, arcades, jets d’eau, on a déjà organisé les fiançailles, il y aura des acrobates qui marchent sur des fils invisibles au dessus de merry go round dans lesquels on a remplacé les cochons ventrus par de frêles licornes, un marabout lira votre avenir radieux dans le creux de l’oreille, les plus âgés danseront avec toi la danse chamanique du bonheur de grandir, les petits garçons t’entraineront dans un défilé de phacochères et de porc épics et au septième lever de lune, voyant comme nous sommes beaux, nous nous embrasserons. Alors tu pourras essayer de réparer ton petit train que j’ai démonté pour que tu ne puisses pas repartir.
Et pourtant ce bouquet de ferraille, je l’ai détesté, je n’ai pas voulu voyager dessus, pouvais je imaginer qu’au bout, il y avait tout ça. La déception de ne pas l’avoir su est grande aujourd’hui, celle de ne pas avoir été comblé par votre cadeau, de ne pas avoir deviné ce que je devais imaginer, mélange d’amour et d’imaginaire technologique, cet ingénieur rêveur que je suis devenu. Vous saviez, vous, ce qu’il y avait au bout de ces rails.
Lisant, je vois tout avec acuité mais non les raisons à qui sont adréssées ces raisons dde l’avoir détesté
C’est un cadeau sous le sapin il y a bien bien longtemps : des rails de chemin de fer miniature pour compléter, je suppose, un circuit que j’avais déjà. Et j’ai le souvenir de ma déception devant ce paquet de rails qui ne m’intéressaient pas plus que ça. Voilà. Il est possible que ce souvenir autobiographique soit tout autant inventé que le voyage du petit train. C’est ça qui est bien avec le souvenir, j’en fais ce que je veux, il est plus là pour se défendre.
Cet abus de pouvoir est enchantement !
c’était un très beau voyage, merci
Un beau rattrapage du temps passé
Merci Huguette.
oui, Huguette, je l’ai vu comme cela aussi.
Mais quelle surprise que ce texte ! Il m’a emmenée en voyage, celui qui je rêvais de faire, j’avais anticipé tout cela et voilà que je lisais l’histoire de ce voyage imaginaire, et c’était vrai, puisque c’était écrit. Merci. Ce train électrique que je n’ai jamais reçu, parce que St Nicolas a apporté au père (enfin à moi) un circuit automobile… Même déception d’enfance, quand ce qui reste est l’unique temps de jeu avec le père. Super conclusion.
Ce que j’aime aussi dans le texte, c’est qu’on en a vraiment pour son argent dans la description du paysage imaginaire et de l’histoire inventée, c’est foisonnant de détails, si bien qu’on est certain de l’avoir vu, d’y avoir joué. Merci.
Merci Anne. Content de t’avoir fait rêver.