Il serre la mâchoire. La beauté des couleurs ternes, t‘y connais rien… jaune moutarde : superbe. La voix qui traîne. Chez lui tout traîne. Les pieds aussi. L’alliance bizarre du nerveux et du nonchalant. Superbe… je ne sais pas d’où elle sort, la voix qui semble flotter. Je l’ai retrouvée dans ces films de la nouvelle vague et d’avant aussi… la gouaille… C’est désuet et puis c’est chaud. La beauté des couleurs ternes. Avec sa mâchoire contractée, il les mastique les mots, et dans sa voix ça anticipe, ça n’y croit pas, ça se joue ailleurs. Des fois je m’en souviens : la voix clope au bec, la voix à casquette, la voix de rue, la voix noir et blanc, la voix qui gesticule, déjà partie. Comme elle était jamais tout à fait là, la voix, elle est restée. Tu vois c’est comme la voix d’un personnage, ça a un timbre, une musicalité, ça fredonne quelque part. Tu t’es jamais dit, tiens, elle a quelle voix la comtesse ? Il a quelle voix le vicomte et le clown alors ? Les personnages de papier, ça a quelle voix ? Quand c’est écrit, ça parle comment ? Elle me gênait la voix qui semblait flotter. Lui qui traîne et moi qui brûle.
Elle revient. Le murmure se mêle à la lumière, au temps qu’il fait. C’est dans la rue. C’est dans le courant d’air. Elle est là, et ses climats. J’ai toujours aimé ce pluriel… Les climats, c’est cosmique et c’est terrien. Wikipédia dit « le lieu caractérise le vin et le vin caractérise le lieu. » Tantôt flotte dans l’air, sans accroche, tantôt fait irruption, elle vient des murs, elle vient du ciel, elle sort d’une couleur, une voix comme ces visages que l’on peine à ranimer, le corps entier tourné vers cet effort inutile : reconstituer une forme vide. Elle est ainsi la voix. Il y a je crois, quelque part, une vidéo. Il parle. Il grimace. Ne restent qu’un mouvement muet, la tension d’une mâchoire contractée, la sensation physique du corps qui se traîne et le souvenir de ses mots : la beauté des couleurs ternes.
oui le beige le grège oui
et des couleurs ambiguës dans des tapisseries médiévales
la fadeur des tons chair ? (je me souviens que pour dessiner les visages — ou les têtes ? disons les bras —mon fils cherchait un feutre « saumon » — où avait-il appris cette couleur-là ?)
— apprécie bcp la venue du 2e §
Parfois je regarde des films de vacances des années 60, 8mm numérisés, mon père à la caméra c’était pas Raoul Coutard, Pas de son, des personnages traversent trop vite l’écran, muets. Parfois on dirait du Godard et je me demande quelle voix auraient ces personnages de celluloïd ? Et les personnages de papier, ça a quelle voix ?
pour la peine j’ai ajouté un paragraphe ça m’y faisait penser.
et quel paragraphe !