Sextidi
Les quatre heures du samedi à l’odeur de cire d’abeille accompagnés de sandwiches de petits- beurre Lu beurrés, du jus d’oranges pressées comme mes lèvres au bord du verre, collées par la pulpe
Quand elle posait sa fatigue du bout des fesses sur la chaise rembourrée simili-cuir, délicatement elle sortait de je ne sais quel endroit secret un flacon de vernis rose nacré, de son pinceau elle peignait ses ongles gardés longs
Septidi
Quand mon père m’attrapait par la main et de son élan vigoureux m’entraînait sur le trottoir, je menais bon train de Ménilmontant à Belleville, nous pêchions à l’épuisette dans le grand bassin de pierre une carpe à farcir et achetions des cornichons au sel posés à même le papier journal
Le tapotement de la fourchette pour battre les œufs en neige du gâteau cuit sur le gaz dans un moule en fer blanc dit « le top » troué de sa lucarne de surveillance
Thermidor
Pas un voyage en « Rosalie » sans la panne et le capot qui se repliait vers le centre pour laisser refroidir le moteur, et que s’échappait la fumée de mes peurs
Sur la banquette arrière, allongée la tête brinquebalante , mes yeux suivaient les nuages à la recherche de leurs formes
Messidor
Place Saint Marc quand les pigeons s’envolaient de ma main d’illusionniste
Pluviose
La galette des rois chaude sans frangipane juste le feuilleté de la pâte dorée à l’œuf, que l’émail de ma dent rencontrait la fève en céramique, une couronne sur mes cheveux je devenais reine
Quartidi
Dans la confiserie les roudoudous de couleur translucide qu’on léchait dans leur coquillage
les bocaux de bonbons et bâtons et escargots de réglisse, de mistrals et chewing-gum gagnants
Je cherchais toujours le début et la fin de l’arc en ciel, y en avait-il un ?
Seule, mon ticket poinçonné et l’odeur de la liberté dans le métro
L’anneau du manège à décrocher avec le plantoir pour gagner « encore un tour »
Germinal
Un jour au pays des fées mon prix à l’école maternelle ce livre aussi grand que mon souvenir dans lequel je me glissais, jouer avec les elfes les papillons et me cacher derrière les champignons
Le pain croustillant à la mie compacte ne résistait pas à ma gourmandise
Ventose
Douce chaleur et le bruit du tisonnier qui ferraillait contre les braises dans le poêle à charbon en fonte émaillée
Crespin-du-Gast
Le dimanche matin la charrette à cheval du chiffonnier roulant sur les pavés de ma rue,
l’accordéoniste à qui je lançais depuis ma fenêtre une pièce dans du papier journal
Prairial
Danser devant mes parents « Frou Frou » avec mon cavalier au canotier , nous avions sept ans
Le cœur parlé au Théâtre de l’Alhambra devant une salle pleine à craquer, nous avions dix ans
A l’atelier protégée par l’odeur de graisse des machines et de la poussière des tissus, les bobines de fil rangées serrés comme des sardines dans la boîte en carton
A l’école l’odeur d’eau de javel sur le plancher décrépi et taché d’encre
Floréal
Remplie la main de l’œuf tout chaud pondu
Une campagne
« La Charmante » une vache douce comme une double crème, aux jarrets constellés de bouse séchée
La molle chaleur aux pieds égarés dans la bouse fraîche
Oh mais c’est mon livre des fées, incroyable je l’ai cherché partout sur internet en essayant toutes les formulations….Merci Raymonde ! Et de cette déambulation dans le calendrier, dans les lieux, c’est tellement délicieux.
Merci Isabelle… Incroyable, je l’avais difficilement trouvé sur internet dans les librairies dédiées aux livres anciens mais je ne sais plus où… Un livre presque aussi grand que moi à l’époque. Si jamais je me souviens je vous le communiquerai avec plaisir.
ça y est, le titre (que j’avais oublié) m’a permis de le retrouver…j’ai craqué pour une fortune mais je n’ai pas pu résister et je devrais le recevoir, encore merci!
génial, quand l’enfance nous rattrape…
Magnifique, merci !
Avoir pris le temps de me lire, c’est encourageant merci
Oh la galette des rois ! aurait pu figurer, le manège aussi, c’était une queue d’animal ou de Mickey. Merci pour ces réminiscences, jolie liste de merveilles
Merci Perle, je me rends compte qu’on pourrait en ajouter encore beaucoup les unes et les uns, enfin peut-être…
on se croirait dans un autre temps, au pays des fées justement…
on rentre avec une certaine volupté dans ces séquences qui nous mettent l’eau à la bouche
mais déjà assez grande pour être seule dans le métro…
superbe, chère Raymonde
Merci Françoise, oui dans les années 50 on pouvait prendre le métro à Paris très jeune seul, c’était même jubilatoire. Un vent de liberté de l’après guerre se peut-il ?
Oh comme je me retrouve dans ce florilège! Merci d’avoir redonné vie à ces souvenirs là.
Merci Solange, l’offre était généreuse et nos appétits éveillés, quelle (s) chance (s) n’est-ce pas.
Tu écris si bien l’émerveillement, chère Raymonde. Voilà vraiment un texte qui aurait pu m’ouvrir le chemin pour une #06. Merci aussi pour les roudoudous, dont le nom n’évoquait plus rien, mais tes mots ont ramené la sensation si nette. Merci.
Oui Anne s’émerveiller c’est encore sourire avec son coeur, si possible ne jamais s’arrêter de le nourrir.