la mer forte | la vague me saute au ventre, m’emporte | dans l’écume je crie de plaisir, voudrais m’y noyer
la mer | le rugissement de la mer, il reste en tête même la nuit
la mer monte et descend | dans les petites mares les algues étalées comme en attente | filant d’une cachette à l’autre, de minuscules crabes en goguette et les corps transparents des crevettes qui frôlent mes doigts
la surface de la mer à l’étale au printemps | la mer sans rides est blanche, le ciel est blanc, si calme | le monde entier est blanc, doux | j’ai six ans, j’ignore que ce monde malmené pourrait disparaître
pan de rocher érodé tacheté comme une peau de léopard
blanches les plumes de l’oiseau posé sur le rocher qui crie comme un humain | il me fait peur, je crois | et puis son envol fascinant, froissement, froufroutement | déjà loin dans le ciel
nombreux coquillages nacrés mêlés au varech à la limite de la marée haute | donc j’en ramasse, ô mes trésors produisant un bruit creux dans ma main, ma poche, mon seau de plage (une poignée déversée au proche de ma table de travail toujours à mon âge)
la mer court en longueur sur le sable | le sable, chaud contre la peau après la baignade
le goût de la brioche dorée vendue au marché qu’on nous donne pour le quatre heures, enveloppés transis dans nos serviettes de bain ou assis sur un banc de la côte après l’orage
astéries, fascinantes créatures à toucher regarder, belles dans l’eau | cinq bras violacés ourlés de corail | j’ai lu qu’elles pouvaient vivre au-delà de cinq ans
anfractuosités profondes dans le rocher gris feuilleté des falaises pour échapper à la surveillance | comme enfermée entre murs de plus de 400 millions d’années | lieux des premières solitudes, lieux-nostalgie
le bruit obsédant de la mer rugissante | revient la nuit quand souffle la tempête
en moi et au-delà de moi : ciel mer rocher, émergence de la beauté | j’ai oublié le vent, j’ai oublié, j’ai tant perdu | les éléments me parlent me déchirent | m’en revenir à l’essence de l’enfance pour préserver ce qui me fait tenir
j'ai choisi de dessiner un espace précis pour contenir ces émerveillements, parce qu'il y en aurait beaucoup d'autres, trop sans doute, assez en tout cas pour d'autres chapitres... ça pourrait balayer toute la vie d'alors, toutes les journées du matin au soir, toutes les matières découvertes, les apprentissages, les grandissements, les explorations, les chocs sensuels, les journées dans les arbres aussi...
Photographie ©Françoise Renaud, Côte de jade 2019
je me plonge dans les émerveillements par la lecture des textes en ligne, les tiens m’émerveillent, je reviens en arrière pour voir si tu as déjà ce rythme de courts, très courts paragraphes, ici brodés plutôt que bridés de petites verticales, et bien oui, on les voit arriver, ces instants précieux, et comme tu dis en codicille qui pourrait être en si grand nombre, ce que j’aime dans le thème de la plage c’est que comme les grains de sable, chaque instant est un univers, merci de ces visions déchirées, déchirantes et si belles,
ton beau commentaire me trouve après une journée éprouvante, fatigue physique ce soir, et d’un coup tu me requinques…
j’espérais réussir quelque chose, j’ai posé les choses hier, et puis la nuit j’ai travaillé dans ma tête, et puis toute la matinée, creusé, fouillé… toujours l’incertitude
(évidemment je suis née au bord de la mer et y ai vécu à plein temps jusqu’à mon émancipation, âge où j’ai fréquenté un lycée de la grande ville, alors la plage, la côte, ça a été toute ma ressource, toute ma vie…)
de cette mer ( océan?) une vague d’images et de sensations… l’empreinte tangible dans la peau des mots
oui océan, il s’agit bien d’océan
le mot mer a une saveur plus générale et il me vient souvent, aussi le féminin…
douceur infinie des images qui sont en nous quelque part pour peu qu’on les réveille…
Je m’en doutais… j’emploie aussi le mot mer pour l’océan de l’enfance qui se prolonge
écrire ces émerveillements: tout un monde s’ouvre avec toi, un tout petit monde et c’est comme si l’on regardait chaque grain de sable, si l’on prenait le temps de l’arrêt sur image, et ne plus bouger et juste contempler. Un texte tout de douceur en ce mois de novembre…
plaisir intense à recevoir l’écho
un monde insoupçonné qui revit bien après l’enfance, certaines choses (comme les coquillages qu’on appelait « porcelaines » définitivement disparus aujourd’hui on dirait bien…)
beaucoup aimé tes petits tableaux de mer. petits crabes, petites flaques, astéries, et soudain tu dis le grand blanc, et doux. le refuge des anfractuosités rocheuses, la première solitude, la nuit des temps, le rugissement nocturne de l’océan. merci Françoise.
la sensation de « première solitude » m’est revenue fort en écrivant le rocher, une sensation qui m’a habitée depuis toujours…
Avoir choisi ( ou été choisie par ) un seul point d’ancrage si fort laisse imaginer la puissance de tous ceux que tu n’as pas évoqués ici. Inscrits dans ta chair ils se répondent en silence aussi.
Troublante ta dernière phrase car intime et universelle : « m’en revenir à l’essence de l’enfance pour préserver ce qui me fait tenir ».
Beau moment à te lire F.
oui ce qui nous forge de loin, nous pétrit et finit par devenir partie de nous
la mer, les plumes, le coquillages et la façon de nous les rendre OUI
comment rendre l’émerveillement ? une sensation si intime, si particulière… une simple liste en vrac à mon sens ne peut y parvenir, alors trouver la bonne variation, le bon rythme…
on pourrait réécrire 100 fois…
Le parti pris de la mer dans ce qu’elle évoque de l’enfance, et tes mots en toute simplicité pour nous la faire considérer dans ce qu’elle est en toi et au monde, un trésor.
Merci infiniment pour cette poésie.
des notes organisées réussissent à constituer finalement quelque chose de l’ordre du poème, oui sans doute
merci en retour, Marie, pour être venue jusqu’ici…
Fait poésie et du coup, pourrait faitre recueil si l’idée te venait de chapitrer toutes ces parenthèses, ces univers.
Tu fais tellement surgir tout ce qui me manque lorsque je suis loin d’elle, notre mer, celle avec laquelle chacun se fabrique sa relation intime. Quel bonheur de te lire et de retrouver tout ce que tu décris, rassembles, collectes dans ton petit seau d’enfance pour toute une vie. Et oui, comme Perle, l’idée, l’envie que tu en fasses un livre. J’adore tes traits verticales. Et drôle aussi de retrouver dans tes commentaires rassemblées toutes ces écrivaines de notre groupe dont j’apprécie les textes.
mais il ne manquait plus que toi !
merci Anne pour ton passage par ces émerveillements