En le faisant on voit qu'il y a bien une difficulté. Ecrire tout ce qui vient comme ça vient, dans cet ordre crée par le hasard de la mémoire ou de l'invention. Puis on se demande si on peut ordonner cette liste. C'est là le problème. Qui est t'on pour s'imaginer plus fort, plus intelligent, plus malin que le hasard ; déjà ça. Ensuite, la sensation que c'est une fabrication. Que si on commence à modifier cet ordre premier, si on se mêle de vouloir le changer, le modifier on détruit quelque chose d'important. Pas loin de penser que c'est une transgression que ce n'est pas bien parce que non naturel, artificiel. C'est là-dessus que je bute pour tout, pas que pour dresser une simple liste. Une volonté bizarre de non ingérence dans la loi du hasard, quelque chose de fondamentalement primitif certainement. Peut-être même de très sauvage. Donc j'écris comme ça vient, je choisis le hasard plutôt que de vouloir faire le malin.
Le rai de lumière, la porte de la chambre qui s’ouvre, sa silhouette, c’est elle. Et le bisou du soir sur le front, la joue ; ce baiser qui rend invulnérable pour traverser la nuit, rejoindre l’aube prochaine.
Tout ce qui surgit de l’ombre en pleine lumière et doucement le fil de vierge qui passe lentement au dessus de toutes ces choses.
Tout ce qui miroite et étincelle, lumière et ombres, contrastes, le mouvement et la fixité, les flaques d’eau et ce qui passe à côté.
L’odeur d’encaustique des vieux meubles ou du parquet
L’odeur de l’essence dans le garage de Monsieur Renard.
Dans l’herbe encore humide de rosée ces petits champignons blancs qui ont surgit comme par magie, des mousserons.
Le bruit d’une vesse de loup qui pète quand on marche dessus.
Une goutte de rosée prise dans les mailles d’une toile d’araignée, ça fait mouche.
Le saut d’une carpe dans l’étang et sa gerbe d’eau et de lumière,
Un fruit mûr qui choit au sol, une pomme quelque chose d’à la fois grave et gai, naturel en somme.
Le regard d’une petite fille qui s’arrête sur soi un tout petit instant et c’est l’ éternité.
Le vent sur la joue quand on pédale dans la descente en venant d’Hérisson pour rejoindre le vallon.
La cime des arbres quand on lève la tête et qu’on ne pense à rien.
La floraison du vieux cerisier en avril, la stupeur merveilleuse qui nous cueille tout à coup, l’éblouissement
L’envol d’un oiseau ce silence dans la partition inscrite sur les fils électriques
La secousse qu’on ressent dans les mains quand on pèche un poisson dans le canal
Faire la planche dans l’étang de Saint-Bonnet
Nager sous l’eau en réussissant à ouvrir en grand les yeux
La découverte épatante d’une pastille Pulmoll dans la boite de pastilles Vichy
Décocher une flèche au hasard et mettre dans le mille.
Le parfum du lilas au crépuscule quand on revient chez soi
Le gout du citron
Le gout de l’oseille
Le gout d’un haricot vert cru
le gout d’un petit pois cru
La fraicheur quand on a bien chaud
Regarder un insecte à l’aide d’une loupe.
Rêver qu’on a un cheval comme meilleur ami
Réussir soudain à voler sans le faire exprès dans les rêves.
Marcher sans tomber sur la bordure du trottoir tout le long du chemin pour se rendre à l’école.
Sentir encore dans une pièce l’odeur de quelqu’un quand il n’est plus là
Oublier un cauchemar quand il fait beau le matin
Les grains de poussière qui traversent les volets de manière oblique
Appuyer sur un interrupteur pour éclairer la pièce
La première fois qu’on a le droit de se servir tout seul d’une fourchette
La première fois qu’on réussit à couper son bifteck tout seul
La première fois qu’on réussit à lire un mot
La première fois qu’on écrit son prénom
La première fois qu’on reçoit un bon point, une image.
La première fois qu’on réussit à faire des ricochets dans l’eau
La première fois qu’on pédale seul
Toutes les premières fois qu’on réussit à faire seul quelque chose sans effort
La première fois qu’on a la sensation d’être entendu
La première fois qu’on écoute vraiment.
Cueillir des cerises et les manger, puis pincer entre deux doigts le noyau pour l’envoyer promener.
Porter son premier pantalon long
Avoir un cartable neuf
Avoir une trousse et des choses à mettre dedans
écrire à la craie blanche sur une ardoise noire.
Observer un buvard, voir les lettres à l’envers, leurs nuances diverses, la profondeur que ça crée
pile ce dont je rêvais
oui, il s’agit de papiers à dérouler et de pinceaux. Restituer en quelques sorte le geste de calligraphier. quant à l’émerveillement, il peut plus ou moins prendre son temps. Merci
et le hasard crée des associations qui fot croire que l’on suit le travail des idées qui s’entrainent (avec des césures parfois)
je note une évolution sensible au fil de la liste, passer en revue une sensation puis une autre, au hasard forcément
pourquoi faire le malin ? (clin d’œil)