Éclats d’enfance, tous en file d’attente prêts à surgir, pressés parfois, ils s’entrechoquent, quel désordre, pas de suite chronologique, les plus forts gagnent, certains sont timides, certains préfèrent rester dans l’ombre – saisir ce flux chaotique comme si un appareil enregistreur inversé remontait le temps et libérait à chaque clic un instantané un moment une image un son un parfum un émerveillement immédiat ou à retardement, tenter de le restituer en mots.
la meule, les outils bien rangés sur l’établi du grand-père Pierre, le dos courbé. Il ignore tout ce qui se passe autour de lui sauf quand je m’approche de lui
le grenier et la grande bassine pour la gouttière, les vieux jouets, meubles et toiles d’araignées observées avec crainte et fascination
le tintement de la lame de l’opinel de Pierre sur le verre pour appeler la chatte Bobine
le nid d’hirondelle qui impose la non-ouverture des volets de la salle à manger
le chemin des câpriers et des grenades avec ma grand-mère Maria qui chantonne
le pont près du mas, l’arrêt du vélo bleu, la vue sur l’étang et la montagne de Sète, la cueillette des pommettes rouges
le seringa du jardin potager si délicat, la douceur de ses pétales blancs, celui que j’arrache pour le poser sur ma joue, les coccinelles, dont je suis le parcours et l’envol
la limonade au café du village avec mon petit amoureux Joseph
la pêche aux oursins et crevettes dans l’étang, les pieds meurtris, la pince pour retirer les piquants, le coquillage posé sur l’oreille avide de sons mystérieux
la jupe en tulle bleu et taffetas de ma mère qui danse la nuit du nouvel an, qu’elles sont belles
La voix de ma mère clamant – dépêche-toi on va se promener au Jardin des Plantes
la voix de mon père racontant les Fables de La Fontaine
la barre du vélo de mon père, mon siège d’amazone, sur le chemin de l’école, je vois les pinces qui attachent le bas de ses pantalons
l’automate du manège sur l’Esplanade, le mystère de ses mouvements de tête et de bras, le choix réitéré de s’asseoir à côté dans le chariot, de le regarder avec tendresse et complicité
les premiers pas au théâtre intimidée et fascinée, la Piste des Éléphants au cinéma avec Maria et la distribution de petits sachets de thé à l’entracte
le parfum des cèpes dans l’Ariège, l’accent de Pauline et Zéphirin préparant le civet de lapin, le gravissement de la montagne jusqu’au château de Montségur, la voix de Zéphirin interprétant Aquelas Montanhas au sommet
le regard fixe de mon petit frère regardant un nid de fourmis pendant des heures, tandis que je me demande ce que voient les nuages de si haut et j’écoute leurs histoires singulières au travers de leurs couleurs et de leurs formes changeantes
Naviguer dans ce flux et ces ancrages pour mieux vivre
Joli préambule les éclats d’enfance qui s’entrechoquent, c’est bien comme ça qu’ils reviennent en désordre et pressés. Et l’odeur du seringa.
un ordre se dégage dans nos têtes par tous ces éclats que peu à peu grâce à l’écriture nous rassemblons
et le seringa facilite l’affaire !
merci Isabelle de votre écho