Parfois face à la pluie, devant la façade rouge, c’est en fin de journée, parfois une journée sale, d’autres fois, une journée lumineuse avec ses drôles de tiédeur, alors il fume, il fume avec lenteur et le ciel s’élargit.
C’est les grands arbres au tronc fort en automne avec les feuilles rouges et la terre trouée d’ornières.
C’est la couverture lourde et chaude, la pièce sent le vieux et l’âtre, le parfum du sommeil et un dernier baiser.
C’est l’évasion, la fugue et l’aventure, l’horizon qui recule, les collines dévalées, des bouts de rivière, des bouts de sentier, l’immobilité coupable et par-dessus le chant du merle noir.
Parfois c’est dans la manifestation, une absence, même que c’est devenu fréquent.
C’est l’odeur des cheveux et le cuir neuf des baskets.
C’est la balle que l’on jette et qui monte et qu’on attrape, c’est deux balles que l’on jette, c’est trois balles, c’est la danse des couleurs au-dessus de la tête, et le carnaval intérieur.
C’est la bouche pleine de crème de marron, la cuiller bombée, les doigts pas très propres, et le pot… déjà vide.
Une fois en pleine conversation. Il écoute un peu. Il hoche la tête. Mais quelque chose décroche. On pourrait se dire c’est inquiétant. Il ne se dit rien. Il est déjà parti. Il est comme ça. Intensément là, perpétuellement absent, on dit vif-argent.
C’est la musique, la sonate, quand ça frappe et ça vibre, on sait pas c’est comme ça, ça s’appelle Beethoven alors tout est brouillé, ravissant il dit.
C’est les schémas d’avion de Léonard. Je suis sûre que si je découpe des ailes de chauve-souris un jour je pourrai… C’est ses schémas à lui et le petit cahier, la main patiente.
C’est les doigts dans le nez, c’est les doigts dans la bouche.
Il n’est plus guère touché désormais par la mélancolie comme il n’a jamais été touché par l’ennui.
C’est les robes si jolies des petites filles, leur peau toute rose et leurs tout petits souliers et celle qui court comme un garçon avec sa frange noire au-dessus des yeux.
C’est la lutte avec les frères, les habits déchirés et recouverts de terre, le premier bleu, la croûte, la blessure de guerre, les échardes et la cabane.
C’est beau comme un outil, c’est le manche de bois avec un liseré rouge, et puis le métal au bout, c’est le ciseau à bois, c’est le marteau, et ce tout petit mot : copeau.
C’est la carapace irisée des scarabées, et la fuite sur la rivière dans la carapace retournée.
Une autre réalité, un autre temps s’écoule de ce corps trop plein, qui a tout le temps chaud, un corps repu de saveurs, de joies, de débordements sensuels, repu de couleurs, de lumières, de paysages.
C’est un jour l’infini et la matière et l’immense univers, où il fait froid, où il n’y a pas de son, où il n’y a pas de nom.
Il avait dit une fois, que certains étés, il pleurait de solitude.
Codicille : un exercice très intéressant somme toute pour brosser les traits d'un personnage et lui donner une forme - modeste - d'épaisseur.
Très beau ce lent décrochage, les absences mêlées aux souvenirs, assurément ce personnage prend forme.
je l’ai laissé un moment en début de cycle été, et le petit fantôme revient
Je rejoins Isabelle et j’aquiesce au codicille, c’ets un exercice à intégrer à nos écritures de fiction.
Merci Perle, je l’aime bien ce personnage…
« et ce tout petit mot : copeau. » qui pourrait bien se substituer — et joliment — au mot fragment, l’objet de cette proposition
ou encore note, bribe, miette, paillette…
merci Marion T.
merci Françoise, en effet je n’avais même pas fait attention à cette correspondance