Industrieux versus industriel
Un décompte de Noël
Ne pas aimer Noël. Ne rien attendre de. Un salon, marocain. A l’époque, surtout un salon à refaire, à refaire, à refaire. Comme si les tissus eux-mêmes ne voulaient pas être là. Toujours enlever les coussins, décaler les banquettes, tendre les tissus, remettre les coussins. Un instant plus tard, recommencer, toujours. Enlever les coussins, décaler les banquettes, tendre les tissus, remettre les coussins. Un instant plus tard, recommencer, toujours. Enlever les coussins, décaler les banquettes, tendre les tissus, remettre les coussins.
Puis un soir, voir sa mère assise dessus. Il arrive donc aux tissus de rester en place assez longtemps pour pouvoir s’asseoir dessus. Peu de lumière. Des assiettes sur la table basse avec des morceaux de pain de mie découpés en carré sur lesquels ont été étalés un peu de pâté de foie et un peu d’œufs de poisson rouge. Pouvoir s’asseoir à côté de sa mère parce qu’elle n’est pas là et ne s’en rend pas compte. Passer la soirée à écouter la Compagnie créole passer sur la chaine stéréo. Et sa mère qui ne dit rien, les yeux qui la maintiennent très loin de la pièce au salon marocain et à la table basse chargé des morceaux de pain de mie carré colorés. Perdre ses yeux sur le profil de sa mère qui n’est pas là. Voir une larme couler. Une seule. Sentir l’attente, la solitude. Et passer le temps que le tissu de la banquette nous laisse dans le paradoxe savoureux de ce partage. Aucun autre Noël ne pourra jamais atteindre à la perfection de cet instant-là.