Ce matin, le père est parti, pas n’importe où : il est parti à la guerre qu’on n’appelle pas une guerre mais eux semblent savoir que c’en est une, ils se sont regardés, parlé bas, frôlés, évités, embrassés et il est parti. Pas une heure après, l’enfant est pris de quintes de toux bizarres, son front est chaud, de la fièvre. C’est dimanche, la mère l’emmène à l’hôpital même si il dit que ce n’est rien, qu’il voudrait rester là, il est si bien malade, légitime à rester au lit sans en avoir honte, tout sauf sortir dans le froid de la rue déserte. Le père est triste d’être parti, arrivé à la caserne, il apprend que le départ n’est que le lendemain soir et qu’on les a rassemblés pour les préparer à une absence qui peut être longue, leur raconter l’histoire plutôt réécrite du territoire où ils vont aller, leur faire écouter deux ou trois mots d’arabe. Alors il a négocié pour rentrer chez lui, revenir juste avant le départ, gagner un jour avant la guerre. A l’hôpital, ils ont dit que ce n’est pas grave et plutôt que de revenir à la maison vide, ils en ont profité pour aller chez leurs amis Véra et Jacques qui s’occupent de sangliers en bordure de la ville, pas loin. Il adore monter dans l’arbre pour les observer gratter le sol, cajoler leurs marcassins, les faire courir en file indienne, ils y sont restés deux jours mais il ne sait plus où ils ont dormi, en tout cas pas dans la cabane qu’il aime bien, la mère a dit que quand on est malade, on ne dort pas dans les arbres. Lui, Il ne les trouve pas à la maison, ils ne doivent pas être loin mais, d’attente las, il repart sans les revoir, sans même savoir où ils sont, déserteur ce serait quand même trop cher à payer. Quand ils rentrent de leur séjour singulier, ils trouvent un long message sur la porte, il était revenu de la gare, trop triste pour partir, il avait attendu tout le jour devant cette porte.
Racontant cette histoire lointaine, il est surpris de n’avoir jamais pensé à culpabiliser la fièvre de ce jour-là.