Dans le regard de ma mère passait un éclair d’inquiétude qu’elle enfouissait rapidement au fond d’elle-même. Dans ces moments-là, elle se pinçait les lèvres sans s’en rendre compte. Elle ne disait rien, elle questionnait à peine. Elle s’approchait armée de son thermomètre au mercure et si nécessaire devenait « la reine du suppositoire1 ».
Elle s’asseyait, gardait le dos droit contre le dossier, les bras près du corps, les mains sur les cuisses. Elle maltraitait discrètement ses ongles, arrachant des petits morceaux de corne sans y penser. Le père taiseux allait et venait. Il s’asseyait à la table du séjour et buvait son café noir dans un simple verre.
Le soir, elle étalait sur ma poitrine et sur mon dos une crème libérant de fortes odeurs de camphre et de menthol. Par-dessus, elle ajoutait une serviette éponge pliée en deux pour « bien garder les poumons au chaud ».
C’était le temps du lait chaud au miel et du gâteau de semoule fait maison.
Elle me bordait sans m’embrasser, ses yeux le faisaient pour elle. Je disparaissais sous les draps blancs en épais coton, une grosse couverture sur laquelle on repliait le drap de dessus, le dessus de lit couleur moutarde roulé au pied du lit.
Il fallait rester au chaud, boire du bouillon ou de la soupe de légumes passée au moulin en métal qu’elle tournait à la main.
Quand la fièvre me tournait la tête, quand la chaleur aspirait mon énergie, me laissait molle sous les couvertures, la main de ma mère apparaissait enveloppée d’un gant de toilette frais imbibé d’eau de Cologne. Le gant en éponge passait sur mes bras, se posait sur mon front. Je dormais beaucoup.
C’était l’époque où le médecin de famille venait à la maison quand on l’appelait. Elle avait une petite voix toute douce « mais alors qu’est ce qui t’arrive ma choupinette ? ». Elle me touchait le cou, me tâtait sous les oreilles de ses mains toujours un peu froide. Elle écoutait avec sérieux ce qui se passait à l’intérieur.
Et puis, on devait se reposer pour guérir. On restait au lit. On n’allait pas à l’école.
1Les yeux de ma mère, Arno
» Il fallait rester au chaud, boire du bouillon ou de la soupe de légumes passée au moulin en métal qu’elle tournait à la main ».
Merci pour ce souvenir réveillé et pour tous les détails dans vos phrases où se loge l’universel.
Merci Marie pour vos deux commentaires
Réminiscences et souvenirs d’un temps qui appartient maintenant à une autre dimension. On le regarde parfois avec tant de nostalgie.
Rétroliens : Le temps du lait chaud et du gâteau de semoule fait maison – khedidjaberassil.com