Retourner à la maison, entourée de la chaleur des bras de son père de la douceur des mains de sa mère sur son visage, percevoir encore ce flot de sang couler de la bouche, du fond de la gorge en feu, voir briller la pince guillotine maniée par un homme masqué, subir le maintien en force de son corps d’enfant par deux femmes en blouse blanche et cornette, noyer son regard dans la cuvette avide, sans capacité de crier. Torture enfantine. Terminer l’épreuve, sortir de l’horreur comme dans les contes, sentir le tremblement de sa peau, sourire au grincement de la porte de la maison, se pelotonner dans son lit avec sa poupée. Étendre ses jambes sous les couvertures, s’enfoncer dans ses coussins, positionner bien haut la tête malmenée. Réchauffer ses pieds sur la bouillotte en caoutchouc, ressentir encore les palpitations d’une peur persistante. Respirer les odeurs de la maison, redécouvrir chaque objet, chaque meuble. Entendre les voix de son père et de sa mère. S’apaiser.
Vivre au moins deux semaines sans école, vivre toute la journée aux côtés de sa mère, surveiller la fièvre, ce rituel de fin d’après-midi, se rassurer face au timide mercure, lire, écouter son père racontant des fables de La Fontaine, manger des purées, des pommes cuites au four, caramélisées. Découvrir la petite jupe écossaise plissée, cousue par sa mère pour sa poupée, passer les doigts sur chaque pli, l’habiller et la faire virevolter, coiffer ses cheveux bouclés, partager son sourire permanent, imiter le tic-tac de ses yeux à chaque ouverture fermeture, voir le monde ou l’inventer.
Ne pas comprendre les raisons de faire souffrir un enfant. Chaque nuit toute une semaine, rêver, s’effondrer dans un torrent de sang, s’accrocher à une branche, haleter, reprendre son souffle, écouter le hibou, se hisser sur la berge, parler aux arbres et courir vers la maison. Sortir après sept jours d’ enfermement, monter le boulevard Henri IV, le traverser, arpenter le Jardin des Plantes, se cacher derrière les vieux arbres et l’« arbre à souhaits », mettre un message sous une écorce, pour ne plus jamais être malade, parcourir la forêt de bambous, courir dans les allées, en gardant la bouche fermée, saluer les statues s’approcher du buste de Rabelais sous un micocoulier en écoutant son père raconter les moutons de Panurge, s’asseoir sur un banc de pierre trouver le repos, appuyer sa tête sur l’épaule de sa mère, vouloir que le temps s’arrête.
Lors d’épreuves de santé bien des années plus tard, revoir surgir ces premières souffrances et ressentir si proches la tendresse de ses parents, les parfums de pommes cuites et les secrets du jardin.
je te rejoins dans la tendresse de ses parents, du moins de la mère
cette importance là…
et j’ai été touchée par « se pelotonner dans son lit avec sa poupée », le mot poupée prenant un sens si fort soudain…
Je revois avec beaucoup de précision cette poupée si présente dans ce moment de vie.
merci Françoise de ton écho.
Bien suivi la petite fille avec ses peines et ses joies. Ce qui m’a frappée le plus, c’est l’emploi des infinitifs! Je doutais, ne pensais pas pouvoir utiliser, je n’ai pas osé, or ce texte prouve que c’est possible, et c’est même très bien. Merci!
je tente toujours de me jeter à l’eau, parfois je me noie !
merci de votre écho Monika