Codicille : Le premier paragraphe répond à la proposition #4. Le second provient du cycle #40jours. Le troisième, du prologue du cycle en cours. Cet assemblage s’est proposé. Je ne m’y suis pas opposée.
La maison est malade. Elle bouille du dehors et dedans glacée. La pluie brûlante coule par le toit du grenier sur les malles et les bobos, tout carton-pâte, coule le long des murs verts et brouille les visages sur les photos, qui est qui ? On ne voit plus avec les paupières en gros rideaux trempés. La maison vibre de la fièvre, l’écran saute, les murs tout minces laissent passer les voix de colères et d’inquiétudes. Ça-chat en boule sur le lit de Malice, mais aussi dans la pièce d’à côté qui parle au Grand D’hombre en chuchotant très fort dans mon oreille. Malice apporte les choses bonnes à manger, mais il n’y a pas d’odeur dans la cuisine des jouets ni dans le jardin interdit, un coup de froid par là-dessus, manquerait plus que ça et après le tableau est complet on voit devant et d’hier d’un seul coup d’œil, couic, finito. Le matin, c’est un autre lit, on voyage sur l’eau sans le savoir pendant la nuit noire comme le bébé moche sur le Nil dans son berceau, sur l’eau qui monte dans la maison et fait tanguer le verre et la carafe sur le chevet de la vierge qui brille dans le noir et tout tombe, et les mère-père ne viennent pas voir les dégâts, c’est Malice qui écope à la petite cuillère de sirop, fais un effort, une cuillère de dînette pour moi, c’est des maladies éléphantines, ça impressionne, mais c’est gentil. Le Grand D’hombre soigne avec de la patience, qu’il dit, mais la maison ne s’impatiente pas, elle fait des rêves épais de grosse soupe mal mixée pour les petites dents, elle voit rouge, partout, comme le sang de l’intérieur quand on regarde le soleil les yeux fermés, elle a gonflé du dedans des murs et des meubles avec toute l’eau qui lui a coulé dedans et pourtant elle est sèche aussi, sèche comme un feu de camp qui coupe la respiration. Ça-chat fait un trou rond dans le couvre-lit et en même temps, il lit dans le fauteuil ou il est allongé près de moi avec le gant qui fait du bien, froid de l’eau bénite de la vierge en plastique. Il donne plein de conseils utiles pour voyager, mais rien ne reste, rien ne tient sur les murs mous, sur les étagères gondolées, dans les placards qui tombent en lambeaux de peau qu’il faut pas toucher où ça laissera des traces pour toujours comme une grimace dans un courant d’air, ou il plante ses griffes après avoir fait mine de coussiner, coussiner. Petit à petit, on dirait que la maison va mieux, mais tout est si étrange, un jeu des 7 différences, un mémo avec des fausses cartes mélangées par erreur. Pour commencer, elle est petite, recroquevillée, dans un coin de la chambre de Malice qui l’a apportée « pour me faire plaisir », pour que se sentir « comme à la maison » pendant la maladie où on ne joue pas, on ne va pas dans la salle des jeux, on reste dans le grand lit la journée, avec la fièvre qui monte, qui monte, et la télé en permanence. Et de un. Et de deux, Ça-chat n’a plus que sa forme poilue et griffue, mais on entend l’écho des conseils de voyage bourdonner dans le mur de la tête du lit le soir, avant d’être emporté comme un paquet de linge sale qui rigole vers la chambre froide et propre pour dormir dormir. Petit à petit, la maison se décolle de Mousy, ça va aller. Et de trois, la maison est silencieuse, les voitures passent très loin avec des chaussons sur les roues à travers de grandes flaques de pluie, les oiseaux ont mis une sourdine sur leur bec de Papageno, une sourdine d’or. Et il y a un rêve de la journée qui insiste où mère-père portent aussi la sourdine sur la bouche. Elle ressemble à un cadenas d’or et pendant des heures et des heures, on se demande comment on fabriquerait ça : une bombe de peinture de Noël sur le vieux cadenas de la bicyclette qu’on ne prend plus ? En bricolant de la ferraille qui coupe les doigts ? Avec de la mie de pain, bien malaxée et durcie ? (Et c’est là qu’on se perd dans les trous comme dans les tunnels du métro, même si on est interdits de séjour avec Malice, ça va pas d’emmener un gosse dans ce dédale quand on n’a plus sa tête ?)
J’ai peu de souvenirs de la station Exelmans, si ça se trouve je n’y suis jamais allé, ça me semble loin, je n’ai plus vingt ans et quand j’avais vingt ans, j’avais une bicyclette et des jupes légères en été, lourdes en hiver, j’évitais les bouches de métro qui ont un trop grand appétit, je n’étais plus née de la dernière pluie à suivre le premier lapin qui passe — homme énigmatique et élégant comme l’Indochine dans son complet blanc —. À vingt ans c’était bien fini tout ça, tu vois ? Je les évitais comme la peste. Alors qu’enfant, ces bouches scrupuleusement identiques pour qui ne savait pas lire et qui s’ouvraient n’importe où… Quelle idée de les faire pareilles au cinéraire qui blanchit au soleil ! Et ces petites lampes d’orange sanguine, elles aussi criaient à l’ogre. Mais enfin, enfant, on s’en moque. On aime quand ça tremble des pieds à la tête au passage du train qui emporte tous sur son passage. C’était étrange de ressortir ça ou là par la même bouche… les rampes entrelacées, les lampes vermillon, ces yeux morts d’un dragon plus terrifiant encore dans son sommeil de jour, la fraîcheur malade en bas des escaliers et le bruit à tout casser. Enfant, je ne trouvais plus la sortie des couloirs, des tunnels, des personnes si nombreuses et si intéressantes qui se pressaient là-dessous. Comment ces épopées ont-elles cessé ? C’est un peu flou, mais je sens que ça se précise et c’est pour ça que j’y suis retournée encore tout à l’heure… Où ? Bien malin qui pourra le dire ! J’ai peu de souvenirs de la station, le four de la gueule ouverte fait trou noir, il faut s’y faire. J’aide un peu le destin en criant tout bas « Aaaaaahhhhhhhhhhh » dans la descente. Ah, ça, vous avez bien raison, remonter c’est autre chose ! Mais je ne ma suis pas perdue, tout le contraire : je me cherche, je suis sur le point de m’y retrouver. Un peu de patience, c’est ce que mon fils semble incapable de comprendre. Pourquoi me chicaner sur l’horaire du dîner puisque je le prends seule avec mon chat ? Enfin, quand il est là… Ça-Chat n’a pas d’heure et à son âge c’est bien normal, comme au mien d’ailleurs. On ne peut pas se laisser avaler sans donner le temps de la digestion. Ce n’est pas poli et mes parents étaient très stricts sur ce point. La politesse c’est la seule chose qui nous différencie des dragons qui vous gobe sans dire bon appétit. Je plaisante. Je les fais marcher, tu le sais toi, Mousy. Pourquoi les petites vieilles devraient-elles perdre le sens de l’humour en même temps que celui de l’orientation ? Petite vieille, parfaitement, c’est bien ce qu’ils voient quand ils me regardent dans le miroir et c’est bien comme ça. Nous, Mousy, nous voyageons d’un trou à l’autre pendant ce temps-là. Et je voudrais bien voir qu’ils viennent m’expliquer comment ça doit se garder, un beau petit gnou comme toi ! C’était Exelmans ? Si vous le dites ! Ce n’est pas parce que je ne savais pas où j’étais que je ne savais pas ce que j’y faisais. Vous n’accordez pas beaucoup de prix à l’histoire du clown qui cherche ses clefs sous le réverbère, n’est-ce pas ? Vous avez tort, bien tort, mais je n’ai pas fini ma phrase et à la fin, à la fin seulement, vous comprendrez combien j’étais dans le vrai.
C’est Malice qui vient à l’école. C’est mieux quand c’est Malice. Le goûter dans un sac maison, bien à l’abri. Et l’aventure. On descend dans la bouche noire. Trou de lapin. Terrés dans le terrier. Des kilomètres et des kilomètres de tunnel. On se perd, mais on est pas perdu tant que Malice est là, même si elle ne sait plus où on est ni où on va, on part à l’aventure à part, alors c’est normal de ne pas savoir, pas du tout comme à l’école où là c’est mal. Là-dessous, on ne sait pas lire. Soit on est trop petit et les lettres vont à peine par deux, bras dessus, bras dessous, comme Malice et moi, soit on a laissé ses lunettes près du fauteuil à oreilles. Malice dit : les lunettes, ça ne sert qu’à lire le présent, mais c’est pour autre chose que le présent qu’on passe à nouveau par le trou du lapin. Pour le passé et pour l’avenir, comme dans les cartes. On change de train plusieurs fois, pour faire plusieurs petits voyages. Tant qu’on n’a pas mal aux pieds, on n’est pas perdu. Si on pleure, Malice prend dans les bras et demande aux gens pressés. Un dit qu’Axelle ment. Comment il la connaît ? C’est peut-être son papa qui a changé de tête. C’est possible qu’Axelle ait menti un jour, ça arrive : la vie est moche parfois, ou on s’ennuie, alors on met une petite rustine pour pas qu’elle se dégonfle complètement. Malice dit que ce n’est pas un mensonge, c’est l’île Machination qui travaille. Du coup, elle s’en fout, Malice quand l’autre lui dit : Axelle ment. Elle, elle répond : si vous le dites. Mais ensuite, ça lui revient comment rentrer à la maison des parents. Quand on arrive, ils ne sont pas très contents à cause de l’heure. Alors on ment sur l’aventure. Malice raconte des histoires de retenues, d’embouteillages, d’arrêt-pipi. Une fois elle leur à parlé de l’étape des gros bourdons en anorak de ski dans les massifs du square, mais elle n’a pas été très populaire. Les parents préfèrent les voitures qui trafiquent et tout s’arrête. Bon, là, c’est un autre problème parce que dans les souterrains, quelqu’un nous a vus et maintenant les parents sont au courant pour les virées en métro avec Malice sans ses lunettes et dans l’état où elle est, à quoi pensait-elle ? Comme si on pouvait le savoir à quoi pense Malice, à quoi pense les gens ! Elle me la bien dit : Petit gnou, ce qui se passe dans ta tête, personne ne peut le voir. Comme pour la bouche noire. Ils peuvent voir le trou, mais ils n’ont aucune idée de se qui se trame là-dessous.
Très impressionnante maison-malade. Très beau, cette confusion de toutes les limites, l’épaisseur, la densité, la mollesse, les superpositions de sensations pures. Limites du corps propre reportées à celles de ce qui vous entour, à celles de la maison, et limites également dissoutes des personnages extérieurs. Cela observé sans angoisse, dans une sorte de confiance qui se dit au travers de la parole enfantine.
« La pluie brûlante coule par le toit du grenier sur les malles et les bobos, tout carton-pâte, coule le long des murs verts et brouille les visages sur les photos, qui est qui ? On ne voit plus avec les paupières en gros rideaux trempés. La maison vibre de la fièvre, l’écran saute, les murs tout minces laissent passer les voix de colères et d’inquiétudes. »
Découverte des personnages de Ca-Chat et de Malice.
Merci pour cette lecture, Véronique : dans cette tentative, certes insistante, d’enfant-langage, j’avance les yeux bandés. C’est un drôle de colin-maillard dans lequel je n’ai pas la moindre idée de ce que peut donner le texte pour tout autre que moi.