Laisser venir, laisser se construire (je parle du souvenir des choses), laisser les sens dire l’histoire.
Le goût dans la bouche, l’odeur du grenier. Oui ça se passe dans le grenier. La maison de bord de mer étant louée de juin à septembre, la famille déménageait au grenier tout en conservant l’usage de la cuisine. Une porte la séparait du logement des estivants.
Percevoir des présences inhabituelles. Sentir l’intime du lieu grignoté.
L’escalier qui conduit au grenier est raide, le grenier pareil à un abri. C’est le mois d’août, je suis malade. Chaleur. Il n’y a pas d’images, seulement des impressions de l’intérieur du corps pris de fièvre, des impressions colorées qui montent depuis le sang, l’endormissement des muscles, la tête engourdie, le corps pressé dans une matière moelleuse et vaguement odorante, par instants noyé de sueur.
Vouloir couler comme dans une eau tiède. S’engloutir. Sombrer plus profond encore.
Quatre heures de l’après-midi. Maman est montée avec un panier puisqu’elle est près de moi, passe sa main sur mon front, me parle avec douceur. Une lumière forte filtre à travers le rideau de la porte et dessine un couloir d’ambre. C’est un moment si doux qu’il est entré en moi pour toujours. Elle est seule, toute entière pour moi. Nul besoin de la partager avec les vivants et les morts. Dans le panier un peu de compote de fruits, des biscuits secs. Elle me redresse dans le lit. Un bonheur insensé.
Photographie ©Françoise Renaud, Côte de jade 2019
Ta photo semble être la clé de ton texte : retrouver dans les strates, les scintillements, les vapeurs, les ombres, le bleu « des impressions colorées qui montent depuis le sang ».
et « s’engloutir », « vivre un bonheur insensé » dans un instant si doux.
grand plaisir à te lire
Limpidité soudaine d’une scène lointaine…
merci pour ton passage, chère H.
Le grenier, son odeur, la maison où l’on n’est plus chez soi.
L’été. La chaleur, la maladie, ses effets sur le corps accueillis, avec eux sombrer.
Et puis, le souvenir de ce moment unique avec la mère, être seule avec elle et le « bonheur insensé »…
Très belle remontée de sensations…
je crois que c’est un peu le sens du cycle proposé par François, non pas une exploration autobio mais plutôt quelque chose de l’ordre des sens, des impressions construites en ces temps-là
je m’y efforce autant que possible, du moins dans le sens où je l’ai compris
merci Véronique pour ton passage par ici et pour nos échanges…
Motif impressionniste, le scintillement…la lumière et « nul besoin de la partager avec les vivant et les morts »merci Françoise!
plaisir de te retrouver, Isabelle
oui le scintillement de certains moments reliés à des événements précis… toujours présent en nous
Captation d’une magie diffusée, sensorielle escapade dans le passé, ça résonne, le grenier.
Mais ce qui résonne particulièrement, « toute entière pour moi », le vrai cadeau.
la scène est réelle, je m’en souviens très bien
ou plutôt survivent en moi ces sensations comme si le temps dans lequel elles m’ont étreinte était tout proche
merci Perle de ton passage par mes Enfances…
Le lieu grignoté par les locataires, « sentir l’intime du lieu grignoté », quelle trouvaille où on retrouve bien ta façon d’écrire. L’isolement comme un engloutissement. La lumière forte qui filtre comme ce surgissement intense du souvenir. Merci, Françoise.
quel bel écho tu me fais…
je ne m’attendais pas moi non plus à ce surgissement en empruntant la piste de la fièvre au cœur d’un été dans la maison au bord de la mer abandonnée aux 3/4 à des vacanciers…