Gravissant l’escalier qui mène à l’étage, m’arrêtant à mi-parcours pour m’asseoir sur une marche, là où une fenêtre donne en hauteur sur le jardin. Jamais je ne franchirai le seuil de la porte de la cuisine. Là, assise sur ma marche, j’écoute aux portes. Je suis entre deux mondes, celui du haut, celui du bas, spectatrice auditive des bruits de la maisonnée. Jamais je n’agis. Déjà, à six ans, je contemple et guette, inquiète, les éclats de voix, ceux des parents qui ne s’entendent pas, qui ne s’entendent plus. Ces éclats de voix qui brisent tout en moi, qui me fracassent vers une autre réalité, vers un désamour que je pensais qu’il m’était destiné.
Spectatrice plutôt qu’actrice, observatrice. Elle observe son petit monde pour se faire une idée de ce qu’est le monde. Elle n’ose pas. Elle préfère ne pas oser plutôt qu’agir. Serait-elle lâche ou paresseuse ? Une chose est sûre, c’est qu’elle n’est pas courageuse et qu’elle a tout le temps envie de fuir plutôt qu’affronter la réalité. Fuir, se mettre en action pour fuir et échapper à la réalité, au tangible, au désarroi, à la peine de n’être pas de là. Elle n’appartient pas à ce monde-là, à ce monde qui continue de tourner sans elle, sans qu’elle y participe. Tout le monde l’oublie, tout le monde l’a oubliée alors qu’elle vit retranchée dans les jupes de sa mère en écoutant aux portes. Elle a cette sale manie d’écouter ce que disent les grands en son absence. Déjà toute petite, elle devait avoir trois ou quatre ans, alors que son lit avait été placé dans le salon, elle écoutait les conversations des adultes attablés dans la salle à manger. Ils pensaient qu’elle dormait. Mais elle fermait les yeux pour mieux entendre ce que les adultes disaient en son absence présente. Le problème, c’est qu’ils parlaient trop faiblement pour qu’elle puisse comprendre les mots, les phrases et les idées qui s’échangeaient, ces points de vue que les adultes ne gardaient pas pour eux-mêmes alors qu’elle, aujourd’hui encore, elle se tait. Elle se tait et elle fait semblant de dormir.
J’aime beaucoup cette petite fille qui s’arrête à mi-parcours d’une volée d’escaliers et qui écoute. Qui guette. Cette petite fille qui fuit, qu’on oublie. Qui ne paraît pas s’aimer beaucoup. Cette petite fille qui aime à écouter les adultes. Qui les écoute… sans les comprendre… parce qu’lls parlent trop bas.