#enfances #03 | Aveuglé par le rêve

Aveuglé. Qui me le dit. Sinon celle ou celui qui reste invisible. Imaginant, fuyant, courant parfois à perdre haleine, descendant l’escalier en colimaçon quatre à quatre pour voir le dehors, le ciel, vaste, immense et dessous les collines. La brise sur les joues sentir.

Aveuglé, mais comment et pourquoi. Le repli de l’œil, le retournement, l’isolement, l’invention, le refus. On me demande mais je ne sais que dire je ne sais pas que je suis un aveugle. On dira qu’il ne fait attention à rien. Qu’il est tellement brouillon, il répond toujours à côté. Il est là, ils le voient eux, et ainsi par le creusement, la sentence, il faut bien que je le voie aussi. Que je parle à travers lui. Que je trouve des mots, les mots surtout qu’ils veulent entendre.

Des mots en creux, leurs ombres projetant d’autres mots, dans l’invisible. L’écho.

Aveuglé j’avance à tâtons, le corps existe indépendamment , par les chocs, les peaux, les matières, les odeurs, les sons, le bâton.

Ai-je peur, ai-je le désir de voir. Je ne me souviens plus. Il a fini par me guider. Par la main, par la voix, par l’absence, par le manque qui devient plein, partout.

Plutôt que voir me dit-il, invente, fabrique, transforme.

Grimpe dans l’arbre et cueille la branche, écorce l’écorce atteins l’aubier.

Fais-toi un arc, des flèches.

Il grimpe avec moi, même envie, mêmes difficultés, mêmes écorchures aux genoux, le sang coule et il est rouge il dit ; mais le plaisir d’y être enfin, plus près des nuages, des oiseaux. Se raccrocher aux branches.

Fabrique un arc et des flèches, ou sinon redescend, essaie le lance-pierre.

Aveuglé par l’idée du lance-pierre j’entre dans l’atelier de couture et m’empare à tâtons des ciseaux de couturière, puis dans une chambre à air je découpe des lanières.

Il faut bien ensuite trouver la fourche, le V d’aveuglé. Attacher le caoutchouc, placer une pierre. Laquelle peu importe, pas trop grosse. Lance la pierre et tu verras.

Aveuglé par le hasard je tire des flèches, jette des pierres, étudie sur l’eau des mares le ricochet – comprendre comment atteindre au but sans vouloir vouloir,

sans vouloir imiter, refuser ce qui les mène, les oblige, nous oblige tous ainsi au but. Vaincre en même temps d’une seule flèche, d’une pierre deux coups, la crainte et le désir.

Aveuglé par un désir de voir, de retrouver ce qui un jour a été, vraiment vu, l’éclat premier. La fugacité.

Vraiment ce serait quoi pense t’il. Et si ça aussi je l’avais seulement rêvé.

Puis les écailles remplacent les paupières, on les ferme, on la boucle, volet de fer. On revient à la nuit première, à la solitude sans étoile, au silence de l’obscur.

On sait désormais que l’on est aveugle. C’est un premier pas. On titube, on tombe, on se relève.

On voit enfin tout cela. On les voit comme je vous vois. C’est effectivement du jamais vu.

A propos de Patrick B.

https://ledibbouk.net ( en chantier perpétuel)

Un commentaire à propos de “#enfances #03 | Aveuglé par le rêve”

  1. « aveuglé par le rêve » qui en fait délivre je trouve
    ce texte me touche beaucoup