La chambre de mes parents a longtemps été au sous-sol de la maison familiale. Un jour, ils ne sont plus descendus. C’est venu progressivement. Sans que l’on puisse déterminer une date, un mois, ni même une année précise. A mesure que les corps se raidissaient, que les douleurs du vieil âge gagnaient la bataille.
Et leur vie au rez-de chaussée s’est mise en place tout doucement. Tout doucement, passant en coup de vent, tout à nos propres existences, mes sœurs et moi n’avons plus eu le temps de descendre rapidement pour leur ramener des objets. Des lubies. Des vieilleries. Un livre de prières que l’on ne disait plus, un couvre-lit molletonné démodé encore dans sa housse assortie, un vêtement pour la messe qui sentira de toute façon le moisi, une boîte remplie de lettres et de cartes postales reçues de gens qui sont probablement déjà morts. Tout doucement l’idée de cette chambre parentale abandonnée s’éloigne de notre conscience …Il y a l’urgence du quotidien, des visites médicales ton léger, cœur inquiet, des listes des courses à faire rédigées d’une main de moins en moins assurée, l’effervescence creuse des grands repas de famille. Doucement notre temps s’est disloqué du leur.
J’avais vraiment oublié la porte. Et sa serrure à l’ancienne. Je me rappelle le bruit qu’elle faisait en s’ouvrant le matin et en se refermant le soir, … le tap-tap de leurs pas dans l’escalier. Le grand lit sur lequel nous avions cessé de sauter pour rire, de nous asseoir pour des confidences, la grande armoire où nos mains sacrilèges d’adolescence avaient fouillé, en quête de rien. Rien d’autre que le mystère de nos origines. La petite salle de bains attenante qui sentait toujours l’eau de Javel et le désodorisant à la lavande.
J’avais oublié, et au moment de tourner la clé, une autre odeur me revient. Une odeur d’avant. Des weekends, des vacances, des jours de grande lessive, des fenêtres grandes ouvertes sur l’agitation du dehors. Et la voix sévère de ma mère qui m’appelle. Et la peur de la réprimande ou de la corvée qui m’éloignera de mes jeux.
Je tourne la clé et pousse la porte d’un seul mouvement.
Touchée par la délicatesse de ce récit, les mots si justes pour évoquer le vieillissement, ce qui était et ce qui n’est plus, les portes qu’on ouvre et celles qu’on ferme, et je retiens particulièrement cette expression « l’effervescence creuse des repas de famille » et il y en a tant d’autres. Merci Carine
Bonjour Marie, merci beaucoup pour ces mots qui me touchent en retour. Nous écrivons aussi ( surtout je crois) pour cela, dans l espoir que nos écrits et nos émotions résonnent en dehors de nous -mêmes. Au plaisir de vous lire bientôt je l espère.