À l’enseigne du Soldeur Bressan, l’enfant évolue dans les odeurs de bougies parfumées, d’encens et de produits ménagers. Ses doigts caressent les plastiques colorés. Ils effleurent les plantes artificielles et appuient sur les mousses synthétiques. Il cherche là, tandis que sa bicyclette chauffe sur le gravier du parking, à dépenser son argent de poche. Et d’y retourner rend l’objet désirable, car il ne cesse d’y penser entre deux visites. C’est un petit coffre à bijoux que ferme un cadenas en laiton. Laqué, il ne présente aucune aspérité sous les doigts qui peuvent y laisser leurs empreintes. Des fleurs de cerisiers à peine perceptibles sont peintes sur le dessus du coffre. L’intérieur est doublé d’une étoffe rouge, douce comme de la soie. L’enfant s’interroge sur la solidité du cadenas et de sa clef qu’il ne faudrait pas perdre. Il ouvre chaque coffre dans la crainte d’être interpellé par un employé du magasin. Les coffres sont tous identiques, mais certains semblent plus résistants, et pour tout dire plus authentiques. À la fin, il se persuade d’avoir trouvé celui dont les autres procèdent et le cache derrière la pile. Son cadenas n’est pas grippé. Il ne comporte aucune éraflure. Aucun fil ne dépasse de la doublure. Pour un peu, il essayerait presque de le voler. Il y pense sérieusement. Se sentant épié, il tourne dans les rayons, et fait mine de s’intéresser aux bocaux, aux portemanteaux, aux pinces à linge, au fatras de l’inutile et de l’astucieux. Et ses économies servent à cela. Il achète le coffre et son idée de coffre. Mais qu’a-t-il à cacher qui en vaille la peine ? Il est finalement déçu par ses possessions qui font pâle figure sur le tissu féminin. Le coffre devient une boîte comme une autre. Trop lisse. Trop neuve. Il peine à la remplir et ne prend plaisir qu’à faire cliqueter le cadenas. L’enfant n’a pas offert à la boîte une histoire qui aurait fait d’elle un coffre acheté chez le Soldeur Bressan qui n’existe plus. Un coffre qu’on ouvrirait, des années plus tard, comme à l’Amiral Benbow, patiné par le temps et l’usage. Il en sera de même de ses bureaux ministre et semi-ministre en bois massif, de ses bibliothèques d’antiquaire, de ses armoires de grand-mère, de ses sacs en cuir véritable, de ses cabans en drap de laine, de ses carnets Moleskine, de ses couteaux de poche, et de ses montres à gousset.
J’aime cette idée de coffre qui est bien plus alléchante que le coffre lui-même une fois acheté et que tout le plaisir réside dans le désir, l’avant achat (et même plutôt l’idée de son vol).
…et surtout aucun souvenir d’aucune armoire, coffre, meuble qui aient pu exciter mon enfance. Je n’ai pas assez chercher sans doute, mais l’impression qu’on a tout bazardé avant ma naissance. Les maigres possessions familiale, le bois brut, les trucs encombrants, on n’en voulait plus. Il fallait du joli, du propre, avec des bibelots sans attache dessus. Merci pour le commentaire !