Rarement chauffée, la toute dernière chambre, au fin fond du couloir. Tante Didi, sœur aînée de ma grand-mère maternelle et de sa sœur jumelle, a traversé deux guerres comme maitresse dans l’école des garçons, un peu dans la Creuse pendant l’exode puis en pleine Beauce où nous la retrouvons chaque été en août, mon frère et moi. Elle a l’habitude des économies de bouts de chandelle, comme elle dit ; elle sème les cosmos du jardin, les fraises des quatre saisons, nous montre où se cachent les cèpes dans la forêt de Châteauneuf. Mon frère joue dehors près de la maison. Et moi, je reste à l’intérieur : j’avance dans le couloir en mettant mes pas dans le rythme du balancier, cœur de l’horloge et de la chambre. A côté de la fenêtre, l’armoire ressemble à une boite en hauteur, une boîte géante qui attendrait son heure debout. Elle fait partie du peuple des objets qui comptent. Elle grince quand on l’ouvre. J’ai le droit de plonger dedans et d’attraper les boîtes à chaussures, celles qui ont des couvercles rassurants, à portée de main, à portée de mots. Elles sont soigneusement empilées. Un peu en hauteur. Tante Didi dit qu’elles sont bien utiles pour les rangements, elle ne jette rien de ce qui peut encore servir. J’ai le droit de prendre ce que je veux à condition de remettre à leur place les boîtes. Tante Didi a écrit sur le devant, de sa belle écriture penchée, les noms des contenus. Mots savoureux sur étiquettes sages. Boutons, laines, tissus, crochets, crayons, papiers. Parce qu’elle garde même les morceaux de papier qu’elle redécoupe pour qu’ils cadrent bien avec leur habitacle. Sur la pointe des pieds, je tends le bras et fais glisser vers moi une boîte, puis une autre. Et voilà trois piles, un quartier de ma ville secrète. Après le voyage, il faut ranger les éléments dans l’ordre auquel je n’ai pas prêté attention au départ et que je n’arrive pas à reconstituer. Elle ne m’en veut pas, dit que je sais m’occuper toute seule, et que ça me servira dans la vie. Elle a oublié que parmi les boites à chaussures était cachée la boite aux lettres. Ou alors, peut-être a-t-elle fait en sorte que je la trouve. Dans des enveloppes fanées, avec cachets de 1917, j’ai trouvé une autre écriture penchée. Des mots d’amour. Je ne suis pas allée au-delà. J’ai enveloppé les lettres dans un reste de tissu brillant et je les ai couchées doucement dans la boite que je n’ai plus ouverte. Plus tard, j’ai entendu dire que tante Didi était devenue vieille fille parce que son fiancé était mort pendant la grande guerre. Et puis elle est partie, comme on dit. Elle repose sous un couvercle de pierre, seule, cimetière de l’Est. Ses deux sœurs sont avec leurs maris, cimetière du Sud. Les boites ont disparu. Sauf ici.