Ces moments que je volais aux querelles familiales, à l’agonie d’une paix qui ne reviendrait pas pour n’être jamais venue, je les passais auprès de la travailleuse. Je la prenais dans mes bras, de son corps dodu en côtes de bois vernis doré doux au toucher tapissée d’une cotonnade imprimée de tiges de fleurs à inventer, elle se tenait sur trois jambes, dans ce bout de chambre exigüe. Elle était un refuge un lieu, le témoin silencieux de mes joies et de mes peines. A genoux pour mieux la vénérer je plongeais mes mains à la découverte de ce trésor connu et oublié chaque fois. Le long de mes doigts coulaient comme le flux permanent de mes pensées des boutons aux contours apaisants lisses parfois en nacre ou encore ceux qui s’accrochaient à ma peau, métalliques sculptés à l’ancienne, à travers eux je pouvais comprendre le monde. Des fils de coton perlé, mouliné, de soie DMC aux couleurs chatoyantes à la douceur du satin, emprisonnaient chacune de mes phalanges formant ainsi une toile d’araignée multicolore. Quant aux bobines de fils piquées parfois d’une aiguille, une fois les mains libérées de leur toile, je les rangeais par couleur, une palette qui me permettait de flâner dans un monde onirique chaud à mon cœur ainsi filait le temps quand je passais ce seuil invisible vers le monde imaginaire aux tableaux enchanteurs. En face de la travailleuse la porte ouverte qui cachait tout un tas de casiers brinquebalants proches de l’écroulement pleins d’un fatras d’habits et d’objets ; c’est justement là que je farfouillais à la recherche d’un trésor qui m’aurait forcément échappé précédemment. De mes menottes curieuses je glissais entre chaque couche d’habits je sentais la douceur d’un foulard , le moelleux d’une laine fine qui sentait la naphtaline ou plutôt le paradichlorobenzène, soit boules à mites, que ma mère m’envoyait acheter chez le marchand de couleurs, au poids, aujourd’hui probablement interdites… j’y récupérais mon unique nounours rose- sale à la peau tendue au rembourrage bien tassé en crin, il me grattait les lèvres à chaque bisou, me regardait de ses yeux ronds en verre contre lesquels je tapais mes dents pour sentir le frais ; d’une solidité à tout épreuve je pouvais articuler bras et jambes tenus par des tiges métalliques. Il comptait sur mon amour, ma mère n’hésitait pas à le mettre à la poubelle régulièrement pour des considérations hygiéniques. J’ai pu le rattraper souvent mais pas toujours, ainsi il a disparu. Avec lui une partie enfantine a déserté. Pas tout à fait. Souvent encore il me fait de l’œil.
Comprendre le monde avec des boutons c’est très beau et ça me parle tellement ayant passé des heures moi-même en compagnie de la boîte à boutons. Et les bobines rangées par couleur, palette onirique, chaude. Je suis touchée et votre texte réveille de nombreux souvenirs.
Merci Françoise pour ce partage des souvenirs d’enfance dont nous sommes imprégné(e)s…
oui la curiosité des doigts plongeant à la découverte des matières – le temos où tout est trésor possible
oui quand la magie surpasse le temps, merci Brigitte