Je ne sais pas jeter. Elle non plus. C’était un plaisir d’aller chez elle, d’autant plus grand qu’elle nous laissait fouiller dans ses affaires. Elle s’appelait Marie. Marie Noël. Un nom savoureux. C’était ma grand-mère. Elle aussi était savoureuse, d’une douceur de pain d’épices. La voix veloutée et claire. Comme les yeux. Elle ne savait pas jeter. Ni moi non plus. Elle ne consommait pas beaucoup. Des livres, des journaux, des revues, il y en avait une petite pièce pleine de tas serrés les uns contre les autres le long des murs. Le seul meuble était celui de couture. Il était tourné vers la fenêtre. La machine était avec un pédalier qui plus tard serait électrifiée. S’asseoir dans le fauteuil face à cette machine, ouvrir la porte vernissée du meuble, y découvrir les quatre tiroirs de tailles différentes, faisait mon bonheur… c’était une façon de me rebrancher avec les lieux. L’odeur légère de graisse se mêlait à celle du bois ancien. Je plongeais la main dans le premier tiroir, celui aux petites bobines métalliques, chacune chargée de fil d’une couleur différente. Le tiroir en était rempli. Si, à l’époque, j’avais eu un smartphone, j’aurais pris plaisir à faire une série de photos en agitant cette collection multicolore. Les couleurs dominantes changeaient à chaque agitation et les fils s’emmêlaient chaque fois différemment. Il y avait aussi le plaisir indicible de la sensation sur les doigts que je retrouvais multiplié par dix quand je plongeais la main dans le deuxième tiroir, celui des boutons. Le plaisir était lié à la fois à la fluidité de cette accumulation et à la musique qui s’en dégageait. Les différentes matières généraient de nombreuses sensations. Les prendre à pleines mains et les laisser couler dans le tiroir. Musique de pluie. Enfoncer les doigts en fermant les yeux, en saisir un ou deux et laisser courir son imagination. Les boutons, plats, tout lisses, ceux avec deux trous, ceux avec quatre, ceux en boule, les grands et les petits, tout sentir sans ouvrir les yeux, tout interpréter pour se raconter des histoires… Ce sont des yeux, les yeux du diable… des yeux de bonnes fées qui comprennent tout et pardonnent… des larmes transformées en or. Finalement il en restait toujours un que je gardais par devers moi et que je prenais pour un bonbon.