notes sur l’établissage du texte
« Caché | glissé | mussé, enroulé comme le chien le fait aussi sous la plaque noire encore chaude, pelotonné | recroquevillé dans le bûcher, au milieu de quelques bouts d’écorce, des copeaux de bois, un peu de sciure et de la cendre, sous la dalle de la cheminée | du feu | de la braise à raviver, du feu à relancer, la paire de bottes, les bûches qui tombent | racassent | le tremblement | raffut | ramdam | ça s’ébranle, à resserrer | se replier, quatre à quatre en un point, dessous, tout au fond dans le noir, tout au chaud, loin, loin des paires de bottes, sourd aux bûches qui tombent | bombent, et loin, loin, en un point chaud sous la plaque, en un point sourd | noir | muet, un point c’est tout, loin, loin à pousser | à pousser loin, pousser plus loin, pousser en un point | la plaque | dalle | porte, pousser plus loin, pousser dedans | du dedans, en un certain point, une certaine porte, pousser pour plaquer, du dedans, au fond, au chaud, pousser au point de plaquer la porte | claquer la porte Asteur oure qu’o l’est çheù diablle ?! »
Il l’aurait entendu murmurer On dirait qu’on serait dans le tiroir des cartes… alors il le ferait ressortir par là. À force de pousser, une main invisible tirerait le tiroir de la grande armoire vitrine. À en faire trembler les portes vitrées. Ce serait le matin, tôt encore, aux aurores, voire l’aube. Quand tout le monde dort encore. Quand, le feu du soir s’est tu depuis longtemps, les braises assoupies sous un voile de cendre. Il n’y aurait que la fraîcheur pour s’agiter un peu, en chair de poule. Il le ferait sortir du tiroir et se dresser là, devant la grande armoire vitrine. La tête et le cœur tourneraient doucement. « À observer | contempler | scruter dans ses détails ce meuble. Un monument énorme étalé, d’un côté, de l’autre, du sol au plafond, sur toute la surface du mur. Un monument de bois massif, des pieds et des piliers de bois brun épais, aux lignes serrées. Des vagues denses, noyées ici et là dans le tourbillon d’un nœud noir et fendu. Un monument orné, sculpté, mouluré. Des espèces d’Atlas sur les montants de la structure, supportant les galeux | leurs gueules | des goules | gargouilles dégorgeant tous les gros mots du monde en chaque graine de la grappe de raisin qui les contient | renferme | écroue | enchaîne. Et des panneaux sur les portes. Des cadres pour des scènes de la vie d’antan, en images d’Épinal, chromos sans couleurs, figées dans le bois dur de l’imaginaire rural. Des scènes au coin du feu, au bout d’une table, au fond d’un verre | bock | chope | pinte, pour une Carmagnole à la viole et une danse de saint Gui cornemusette. » En repensant aux fresques de l’ancien café de son village natal, à ces personnages aux traits naïfs sortis d’un vieux cahier d’écolier, un groupe de musiciens, à la batterie, à la guitare, à la contrebasse, et quelques danseurs sur un mur décrépi, les visages piqués, les couleurs passées, la trace fantôme de la cheminée et de son conduit, la salle à ciel ouvert pour le bonheur, dans les joints des tommettes descellées, fendues, parties, des herbes folles.
Derrière la vitrine fumée, carreaux verdâtres, croisillons en étain, la rangée de livres divers sur la pratique et le matériel photographique, un album sur la Tour Eiffel et les images de sa construction, trois petits livres de la même collection sur les chiens, les champignons et les arbres, une Histoire du monde, quoi d’autre ? le livre des questions et des réponses avec Snoopy (sa tête dans une bulle, un livre en main), un livre sur les techniques de l’origami, un sur les secrets du jardin et de la lune, un atlas de l’univers, un autre sur le corps humain, un autre petit livre de la collection sur les cristaux, Argiles, et puis ? une bible allégée et illustrée, une encyclopédie en combien de volumes ? un grand livre sur les peuples premiers, pour le travail dans tous ses états (enfants compris dès la couverture), Acteurs du siècle. Dans l’étagère du dessous des bouteilles en tous genres de boissons et des verres de différentes formes et dimensions. Parmi eux, un grand, large à petit pied et bouche rétrécie. Il se tient là, à côté du tiroir à demi ouvert, devant la vitrine. Devant ce verre ballon pataud. Il voudrait l’attraper alors il le ferait ouvrir les portes. Ses petites mains tourneraient les clefs, en grinçant, et il tirerait, tirerait, les grandes portes vitrées rechigneraient, résisteraient. Alors plus fort, plus fort, « à tirer, tirer, tirer, et l’aimant d’un coup sec lâche, les portes s’ouvrent, il tombe à la renverse entre les chaises, presque sous la table. À faire trembler les carreaux comme s’ils se brisaient. Retentir | tonner | résonner | bomber le plancher. Il se relève et s’avance vers cette espèce de porte-fenêtre grande ouverte. Les odeurs mêlées du papier enfermé | endormi | engourdi, un peu rance, et les vapeurs des bouteilles poreuses, douces et âcres, s’envolent | volettent | voltigent », et les souvenirs tourbillonnent aussi.
Ah ce qu’il ne faut pas faire pour quelques miasmes humains, se dit-il. Le jour dans le cadre de la fenêtre derrière. Le pas du chien dans l’escalier. Le chant des pinsons dans la cuisine. Un véhicule passe dehors. Des voix et des bruits de bottes. Le frigo se met à ronronner. Le halo de la lampe au plafond. Une photo de famille dans un cadre en bois. Une dernière braise dans la cendre. Le chien entre les jambes. La langue sur la main. « Sur la table, le gros verre brille, le visage se réfléchit dedans, déformé, grossi, oblong, tarin épaté, et, passant l’index sur sa langue, il commence à le faire tourner sur le rebord du verre qui se met à grincer, vibrer, sonner, chanter. » Et maintenant, comment retourner ce chant comme un gant ? Comment repasser avec cette voix sous la sole de métal chaud ? Comment replier le tout dans le tiroir ? Dans quoi on peut bien se fourrer des fois. « Ce gros tiroir orné d’une frise, de rinceaux enroulés dans un sens et dans l’autre, des feuillages, ou des vagues, la poignée formant une sorte de feuille qui se déploie, un rouleau | une lame qui se brise. »
Rétroliens : #enfances #lire&dire | L’Heure de goûter (ou comment faire l’enfant) – 2 – le Tiers Livre | écrire, publier, explorer
Le titre, d’abord, j’adore — image surréaliste. Et puis la convocation, par cette drôle de voix — est-ce un lutin ? — de ces antres, ces âtres (encore de ces espaces qui se révèlent plus grands dedans que devant — arbres en quelque sorte — en ce que l’aire d’influence d’un arbre est largement plus étendue que ce que l’œil en voit) — et l’autre avec sa drôle de voix, c’est comme s’il en avait trouvé des, voies, par où naviguer des unes aux autres (un meuble, c’est un navire)
A croire qu’il n’y a pas que les bateaux qui peuvent être ivres. — Un petit côté surréaliste ? Pourquoi pas, en tout cas un jeu avec l’imaginaire de l’enfance (et je dois être bien en dessous de la réalité, j’ai malheureusement oublié). — Je n’avais pas pensé à l’image du lutin. Maintenant c’est fait. — Merci Christophe