Pas retenu ni son nom ni son prénom. Au souvenir, sous les néons de la boucherie, juste l’ombre immense de son dos devant nous. Il est même plus grand que mon grand-père. Entre eux, le salut des habitués. Plus tard, il me semble qu’il m’explique que cette ombre géante est un ancien boxeur maintenant manœuvre sur les chantiers. Et je retiens surtout ça : à la boucherie, l’ancien boxeur, il demande toujours à acheter du mou, tu sais, ce qu’on prend pour le chat, mais que lui, le boxeur, des chats, il en a pas.
Combien de fois lui doublé sur la nationale, cette forme tassée sur un vieux vélo avec sa cagette sur le porte-bagage et ses sacoches grises de chaque côté ? Toujours en noir, toujours ses mêmes habits en velours à grosses côtes, toujours ce même béret. Il a vécu au village puis s’est installé dans une vieille ferme tout au bord de la ville. Encore un ami ici et puis, des terres et un bois à côté du nôtre. Ils disent qu’il est très riche mais très radin, ils disent qu’il fait exprès de vivre comme pauvre, ils disent aussi son magot bien planqué et surveillé par ses chats. Lui, ils le surnomment d’ailleurs « Le Chat ».
On est dans sa cuisine. Il fait sombre, les murs sont épais, la fenêtre toute petite, un vieux rideau sale, la nappe un peu grasse, on passe à l’heure du café. C’est un oncle ou un vieux cousin. Une vedette locale. Il n’a jamais voyagé bien loin, mais il a sa télé et son journal, ses allumettes et son tube de colle. Avec ça, il reconstitue des monuments du monde entier. Ils me regardent tous, alignés sur le buffet.
Que ces personnes n’est pas de nom les maintiennent derrières vos yeux. Nous sommes votre regard. Très intéressant. Merci.
Ce texte m’a rappelé ces hommes et ces femmes qu’on voyait quand on était petit, mais dont on n’a jamais su le nom. Et toujours les rumeurs, les cancans, les informations dont on n’est pas certain.
On a tous connu de telles silhouettes, de tels personnages qui vont et viennent et laissent à peine quelques traces… Merci.
C’est ici que je me dis : tu n’as rencontré personne durant ton enfance ou tu n’as, décidément, aucune imagination…
belles évocations de personnages, ces silhouettes familères, croisées mais sans nom. Le regard du narrateur nous accroche. C’est réussi
Merci pour vos commentaires !