Nous l’appelions Bonne-Maman. Elle était personnage important, mais en retrait, ne régnant plus vraiment que sur sa chambre, la plus belle ou mieux située, s’ouvrant, après la salle à manger et le salon, sur le balcon surplombant le très grand jardin alors nommé Parc de Galant, dans un monde de bois sombre, de colonnettes, de coussins, où flottait une vague odeur mélange de vieillesse et de violettes. Elle était de plus en plus petite, visage aigu au menton duveteux, vêtue de noir, de violet, d’étoffes soyeuses ou de cotonnades à petites fleurs avec toujours un de ces rubans de cou, perlés ou brodés, comme ceux que l’on voit porter par une ancienne reine d’Angleterre à la dignité imposante, dont elle avait aussi la coiffure bouffante et immaculée. Elle recevait, petite musaraigne et reine déchue, ses petits enfants, assurant toujours à celui ou celle qui venait avec précaution poser ses lèvres sur un pli des rides poudrées de son visage qu’il ou elle était le plus aimé parce que… la suite variant selon les cas.
Il s’appelait Jules je crois mais n’en suis pas certaine, il était « le glacier ». Il était l’arrivée de la charrette devant l’immeuble J le premier ou le dernier comme on voudra, celui des officiers subalternes (sous le Vaisseau), l’âne et le son de trompe. Il était les enfants grimpant l’escalier, redescendant avec une grande cuvette, les pains de glace qu’il découvrait, mince silhouette râblée de moco, en soulevant les serpillères, la scie et sa découpe minutieuse, à vu de nez, de la quantité demandée penché avec son sourire fermé et attentif, officiant avec solennité et humilité fière sous nos regards.
Avec la mémoire défaillante que nous partagions, avec peut-être également notre désinvolture, nous avions renoncé d’emblée à retenir son nom, mais son arrivée, guettée deux fois par semaine, pendant que sa camionnette Citroën négociait les trois derniers virages de la grimpée depuis la ville dans la vallée, n’en était pas moins l’évènement du jour, rameutant les fermières et bourgeoises en vacances. Il s’arrêtait devant la première maison, le chalet que nous louions pour des vacances à une grande tante, il relevait les volets de l’arrière et il venait se planter devant la petite table rivée à la partie basse, superbe, entouré par sa cochonnaille, il était aussi rose, gras, avenant que sa marchandise mais je crois que ma détestation de toute charcuterie me vient de l’impression devant les tranches de mortadelle présentées en gloire sur des feuilles de salade sur la table familiale qu’elles avaient été découpées dans ses biceps émergeant de la chemisette à chevrons blancs et bleus.
Merci Brigitte. Très belles évocations.
🙂
Bonheur de découvrir ces 3 évocations avec autour, tout un monde qui vit. Envie d’en lire d’avantage.
trop gentille
bonne maman il y en avait une chez nous mon arrière grand mère. :.(…dans un monde de bois sombre, de colonnettes, de coussins, où flottait une vague odeur mélange de vieillesse et de violettes. Elle était de plus en plus petite, visage aigu au menton duveteux, vêtue de noir, de violet, d’étoffes soyeuses…): comme c’est beau! Et les biceps du charcutier Citroën qui traduit si bien les dégoûts de l’enfance . Merci Brigitte
le mienne de Bonne-maman elle a vécu jusqu’à 99 ans et demi soufreteuse depuis ces 30 ans à charge de l’ainée de ses brus, elle a découvert l’avion à 90 ans et fait une fugue dans les rues d’Alger fêtant l’indépendance…une scrée bonne femme à l’allure timide
MERCI Nathalie
je la vois bien cette Bonne-maman, et je comprends qu’on ait envie de poser ses lèvres sur un pli des rides poudrées pour se rêver la plus aimée…
🙂