Toto le samedi midi vient chez nous pour l’apéro et pour le tiercé — une odeur d’anis. Toto, enfin Marcel dit Toto parce que sa femme aussi s’appelle Marcelle. Marcel et Marcelle. Il est routier, son rire explose à la fin des blagues avec sa grosse voix et son accent parisien. Marcelle a un bouton rose sur le menton, un poireau — je cherche à l’éviter quand je lui dit bonjour — et une odeur de céleri.
Le laitier du camion est chauve. Le laitier est le seul chauve de mon entourage il m’inquiète un peu. Je ne le vois jamais en entier, assis sur son siège derrière le volant, le siège tourne pour servir les clients. Il sourit et s’essuie les mains sur un tablier blanc. Vers midi peut-être une fois par semaine je guette le klaxon de son camion jaune et vert. On lui donne une bouteille vide pour le lait (j’attends avec inquiétude le bruit de pompe quand il la remplit) et une boite pour les petits suisses enveloppés de papier. Parfois ma mère lui achète aussi un camembert.
Annoncée par le son des cloches et les bêlements, avec mes frères on l’appelle la dame des chèvres. Elle suit son troupeau, bien derrière pour surveiller qu’aucune bête ne traine. Courbée elle s’appuie sur une canne, le dos parallèle à la pente du chemin dans l’effort de chaque pas, un moment d’équilibre délicat pour passer d’une jambe sur l’autre. Ses mollets arqués dépassent d’un tablier long, des fleurs ou des carreaux, ses collants gris opaques tirebouchonnent sur des bottines usées. Un vieil arbre aux branches tordues par le vent. Parfois nous lui achetons des fromages au goût de savon.
Nous les connaissons, reconnaissons ces personnages. Des archétypes, et singuliers pourtant. J’aime beaucoup – et une odeur de céleri, et le dos parallèle à la pente du chemin, et parfois ma mère lui achète un camembert. Merci pour ces images arrachées de l’enfance.