Si de mon enfance j’ai refoulé tant de choses au point de n’en savoir rien et de continuer à vouloir n’en rien savoir, ce n’est pas pour ouvrir à présent, au prétexte d’une prétendue écriture, la boîte de Pandore que je tiens soigneusement éloignée. Cependant, non sans bonheur, reviennent et demeurent toujours…
Monsieur Bonnot
Des collections de pinceaux, têtes en l’air, dans des boites de conserve rouillées, un sol jonché de vieux journaux tachés, des chats partout, une odeur forte, difficile à supporter, où pipis de chats et térébenthine se mélangent. Monsieur Bonnot et son épouse vivent dans une maison qui se délabre au milieu d’un jardin à l’abandon. Je ne sais plus rien de leur visage, ni de leurs paroles. Seules les mains tordues de Monsieur Bonnot, crispées sur ses pinceaux. Seul le béret noir sur la tête de Monsieur Bonnot, artiste-peintre que ma grand-mère maternelle visitait quelques fois. Artiste et peintre, isolé et démuni, au milieu d’une tribu de chats qui mangeaient toutes leurs pauvres économies.
Félicie
La bonté même, la tristesse même, la discrétion même, Félicie n’avait qu’un seul habit, une robe tablier de travail, toujours grise, que les motifs fleuris n’égayaient jamais. Veuve depuis la grippe espagnole, la belle-sœur de ma grand-mère maternelle était une présence constante qui faisait tout, servante à demeure, servante à vie d’une famille l’acceptant avec condescendance sous le seul statut de la femme du pauvre frère disparu. Pour moi, enfant, Félicie n’était pas ce fantôme corvéable : elle était nourricière, attentive, aimante. Une présence d’humanité absolue prenant soins de tout, de toutes et de tous. Pour moi, adulte, Félicie est une femme qui aurait du se rebeller et nous fuir.
Popeye
Il marche à mes côtés quand je ne marche pas encore. Silencieux, il me suit ou me précède. Patient, il s’assoit et me regarde. Il est roux, rouquin, caramel, légèrement tigré. Popeye est un tabby roux. Nous fûmes séparés très tôt. J’ignore toujours qui appela Popeye le premier chat de ma vie. Il mérite mieux.
Madame Lang
Elle est ma maîtresse. Dans la cour de l’école elle nous fait chanter et danser la ronde « Nous n’irons plus au bois ». Madame Lang est rousse. Nul autre détail du visage de mon institutrice. Seuls ses cheveux roux. Sautez, dansez, embrassez qui vous voudrez. Seule certitude quand le refrain est tombé sur moi, c’est ma maîtresse que je suis allé embrasser. Madame Lang ou Madame Langue — je ne sais rien de l’orthographe de son nom — m’a laissé déposer un baiser à sa joue.
ouvrir ou ne pas ouvrir? c’est la question … Ceux qui demeurent vivent dans ses lignes et c’est beau. Félicie Félicité n’a pas fuit. Elle vit ici pour notre joie triste
Joie triste, oui. Merci Nathalie Holt. Votre attention à Félicité me touche tout particulièrement. Merci.
les quatre et la tendresse qui empêche l’effacement
et surtout que je l’aime Félicie
J’aime la nostalgie de ce tabby roux.
Merci Brigitte, merci Nicolas. Touché.