#enfances #01 | Serge et Abré (portraits 2/3)

Serge

Autour de la grande table dressée dans le jardin, il ne parle pas beaucoup, il préfère laisser les autres occuper l’espace, rire parler amuser fort. C’est l’été. Les parents ont invité des amis à manger. Regard et sourire doux. Serge est là. C’est du coton. Douceur et présence enveloppante dans sa façon de rire aux bêtises de ses potes de toujours. Ils ont la trentaine. Le cercle de ses lunettes. Une barbe de baroudeur. De quoi se protéger du dehors. Un autre week-end. Intérieur cette fois. Soirée diapo je pense. Serge revient d’un de ses longs voyages à vélo. Les potes se retrouvent autour d’un apéro pour le récit en images. Mieux que des mots. Rien ne me reste si ce n’est cette diapo. Serge sur son vélo de baroudeur sur un ferry au bastingage vert. Il sourit. Il est une promesse de lointain. Mais je n’ai que quinze ans.

Abré

C’est notre voisine. Elle habite au numéro 3. Je n’y suis pas beaucoup allée. Sauf une fois, seule et de mon propre chef, un soir d’été imprimé à jamais dans ma mémoire d’enfant. Abré, c’est une mère et une grand-mère. Je me souviens que ses enfants et ses petits-enfants lui rendaient régulièrement visite. Ca me fascinait. Ces allées venues dans les rires et les éclats de voix joyeux le long de notre cour. Abré est ronde et lumineuse et généreuse comme la brioche dont elle s’était fait une spécialité. De sa maison, je n’ai que le souvenir de sa cuisine, très sombre. C’est là que ce soir d’été, dans ma grande solitude d’enfant, elle m’a rassurée, que je l’ai attendue, assise dans la cuisine obscure face à la porte qui donnait sur notre cour, et puis que j’ai pleuré car ce soir-là, personne n’avait rien compris à ma détresse.

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !