Madeleine, longue, ses cheveux gris coupés au carré, la couleur uniforme de ses vêtements. Sa silhouette frileuse sur le perron de La Pergola, c’est le nom de la maison où elle abrite sa grande famille. Ses petits-enfants l’appellent Bonne Maman et je suis jalouse qu’ils aient une grand-mère à nommer, et de ce petit nom qui m’évoque la Comtesse de Ségur. À l’heure du déjeuner elle agite une cloche pour appeler ses oisillons. L’après-midi on la retrouve sur la plage, à l’abri d’un grand parasol rectangulaire, sa couleur géranium délavé et ses franges de coton jaunis. Sur le flanc un panier rempli de biscuits que je regarde avec envie.
Elle vit dans la maison au peuplier, séparée de la nôtre par une allée sablonneuse. J’entre dans la maison d’Yvonne parce que je suis curieuse de religion et qu’elle accepte de me donner quelques notions de catéchisme. Le salon encombré d’objets anciens, tableaux, bibelots, napperons amidonnés, poupées de coquillages, papillons sous verre bombé, une odeur de pomme mûre. Yvonne et ses lunettes aux verres épais et fumés. Les cheveux d’Yvonne retenus en chignon avec deux peignes d’écaille. Sa collection de bandes dessinées qui raconte la vie des saintes dont le papier gondolé d’humidité exhale un parfum de cave et de sel. Le visage de Bernadette Soubirous dont je tombe immédiatement amoureuse.
Éva est une amie d’enfance de ma mère, cet été-là elle nous rend visite dans le Cotentin avec son fils et son compagnon. Elle loue un appartement dans la bâtisse blanche du coin de la rue, ce qui m’offre le prétexte d’y pénétrer, de caresser la moquette aiguilletée orange qui recouvre les murs, de respirer l’odeur de sable dans l’air chaud. Éva se maquille devant un grand miroir ovale, elle finit par un rouge à lèvres nacré, presse ses lèvres en un baiser adressé à son reflet, je trouve ça sublime. Elle me laisse essayer une grande capeline en paille blanche, devant le grand miroir ovale je l’incline de plusieurs façons autour de mon visage comme je l’ai vu faire par Jaclyn Smith dans le générique de la série américaine Drôles de dames. Avec sa voix grave, son corps mince, Éva me rappelle la Fée des lilas, jouée par Delphine Seyring chez Demy. Éva, son enfance juive dans les années quarante avenue de Corbera. Éva une héroïne.
oh une autre Bonne Maman ! moins vieille musaraigne venue du 19ème siècle que la mienne