Il s’adressait à elle en disant Nini, elle lui répondait avec mon petit. C’était mon père, grand et fort comme un père, qu’on appelait mon petit. Elle, c’était une vieille femme acariâtre, on a le droit de le penser, qui avait mis toute la tendresse dont elle était capable, dans ces deux mots, et qui n’avait rien d’autre à offrir par la suite. Elle ouvrait un paquet de gâteaux, des petits lus dont on grignoterait les angles avec application pour ne pas engloutir trop vite ce moment de douceur. Une silhouette menue, tassée sur ses ans, et l’éternel chignon blanc planté au sommet du crâne. Comme un bouton de porte dont il faudrait huiler les gonds. Une heure plus tard on dévalait les escaliers et reprenait vie dans la ruelle. Un geste de la main, un regard vers la fenêtre du premier étage, et l’on était libre à nouveau.
Deux fois peut-être, elle était venue sonner à notre porte. Essoufflée après avoir grimpé les trois étages, la canne soutenant son corps recroquevillé, elle venait remercier le père pour des services rendus ; je n’ai jamais su lesquels. Il fallait vite lui proposer une chaise ; sans doute n’allait-elle pas plus loin que le corridor, car mon regard la situe là entre fenêtre et porte-manteaux. Son corps tremblait en tous sens : tête, épaules, bras. Sa voix était chevrotante.On disait Mademoiselle quand on s’adressait à elle, mademoiselle avec toutes les syllabes bien détachées, comme si la manière de le prononcer avait davantage de chance de traverser les méandres des tressautements de son corps. Elle sortait de son cabas, enveloppée dans du papier journal, une aquarelle qu’elle avait peinte en remerciement. Mon regard allait du tableau à la main gantée de noir dont les tremblements ne cessaient pas. Mais comment faisait-elle ?
Dans le village où se déroulaient les vacances, les surnoms étaient de mise. On disait tous le Colibri en l’évoquant. Aucun autre nom ne le désignait à ma connaissance. Il n’avait pourtant rien de l’oiseau. Fouine lui aurait davantage convenu. Ou Taupe car il n’avait jamais l’air de nous voir quand il nous croisait. Moi, je me serais volontiers glissée dans un trou de souris plutôt que d’avoir à passer près de lui. Un genre d’homme de la campagne profonde d’autrefois, vêtu de couleurs sombres, souvent pris de boisson, parlant tout seul, insultant ses chiens et sûrement la terre entière, si j’avais compris les volées de mots en patois qu’il criait lorsque la vie lui paraissait plus mauvaise encore que la veille. Mais j’aimais son chien qui me le rendait bien. Et ma tendresse d’enfant à partager se concentrait sur le dos de l’animal qui n’en revenait pas de toutes ces caresses qu’il ne connaissait pas. Et c’est ainsi qu’il venait cacher ses os dans notre jardin: un secret que je n’avais pas encore dévoilé.
toujours cette attention qui passe dans l’écriture (et le boc qio se tient avec sa chute)
Mais si j’aime l’os caché dans le jardin celle qui a ma tedrezsse (telle que dite) c’est l’aquarelliste