Mademoiselle Petit n’avait de petit que le nom. Elle était grande et grosse. Elle portait des vêtements bruns. Ou gris. Ou kaki. Ils étaient faits dans des matières qui semblent ne plus exister. Ses gros bras battaient la mesure en s’agitant et, plutôt que lire ma partition, j’observais cette masse de chair se balancer et trembler, comme si elle était remplie de notes qui attendaient de sortir. Et un et deux et trois et quatre. Dosidorémirédomiré…La musique était Mademoiselle Petit. Les notes sortaient de sa bouche comme autant de paroles, le piano était une extension de ses doigts et elle vibrait au gré des sautes-sautes-croches-triolet-noires. Et puis un jour, elle est morte.
Il a les lèvres toutes fines, presqu’invisible et veut qu’on l’appelle Monsieur-le-Maître. Il porte un tablier bleu pétrole (dit-il) et un espèce de bâton gradué qu’il claque parfois sur l’estrade. Il a une belle écriture, dit-il aussi, quand il note la date au tableau. Et nous devons faire de même. Il ne m’aime pas et me punit souvent en me regardant avec de petits yeux plissés. Il a l’air vieux même avec des cheveux foncés, mais je pense que c’est à cause de tous les plis dans son visage lorsqu’il se fâche. Il me fait peur. Ou plutôt, sa sévérité me fait peur. Nous ne sommes qu’une toute petite classe de village, 15 élèves tout au plus, pour deux années, mais il règne sur nous comme sur un pays tout entier. C’est lui le roi. C’est lui le maître.
Je sens qu’elle va arriver car nous sommes mercredi et que mercredi, c’est le jour où elle vient en consultation chez maman. Comme je suis dans la salle de jeux, juste à côté du salon, je me dois de lui dire bonjour par politesse. Après l’avoir embrassée, il reste sur ma joue une odeur atroce, suave et écœurante, une odeur qui ne va pas du tout avec ses cheveux blonds.
En plus, je le sais, la pièce conservera encore le souvenir de son passage pendant plusieurs heures, comme si elle ne voulait pas quitter notre logis. Elle s’est incrustée et je me sens envahie. Inutilement envahie.
Je ne peux pas sentir cette femme. Alors, souvent, quand elle arrive, je baisse les yeux sur ses Nike montantes, blanches et bleues, comme celles que je souhaite recevoir pour mon anniversaire. Me réfugier dans l’image de ces chaussures me permet de m’évader vers un ailleurs plus supportable.