Pour les fromages de chèvre, c’était chez Élise. On ne mangeait de ses fromages qu’en été, quand les chèvres sont dehors, sinon, mon père disait qu’ils n’avaient pas de goût, qu’ils étaient fadasses. Fadasse, moi j’aimais bien le mot, avec sa fin en asse, c’était comme un gros mot qu’on a le droit de dire sans trop se faire gronder. En été, les fromages n’étaient pas fadasse et une fois par semaine, j’allais les chercher à vélo, avec dans mon sac à dos, la boîte pour six fromages, vide à l’aller et pleine au retour. Entre chez nous et chez Élise, il y avait un col à passer. Un petit col, mais un col quand même, avec une pancarte en émail bleu foncé, son nom et son altitude tracés en lettre blanches un peu penchées. Quand j’arrivais chez Élise, avant de choisir les fromages, elle me demandait comment s’était passé le trajet, elle se faisait une montagne de ce petit col à passer à vélo et me renouvelait à chaque fois son admiration, m’offrait toujours un grand verre d’eau et une pastille Vichy, des pastilles blanches et à la forme si caractéristique qu’elle gardait dans une boite en plastique bleue à couvercle blanc de la même forme que les bonbons. Le goût de la menthe m’accompagnait pendant tout le trajet du retour
Jacques fumait la pipe et ne rigolait pas avec le rituel. Il nous donnait un sujet, des feuilles et des crayons, ensuite ça commençait. Il nettoyait sa pipe avant et après chaque utilisation, pour être sûr. Une pipe en bois, toute simple, droite et sans fioritures. De la même couleur que son tabac qu’il piochait dans un paquet bleu orné d’un marin à bonnet bizarre, col roulé et regard roublard de vieux loup de mer. L’odeur surtout était ce que nous attendions tous, miel, caramel, pain d’épices, une odeur de gâteau, une odeur à nous mettre l’eau à la bouche et nous remettait en tête des histoires d’hivers blancs, de neige et de père noël. Quand la pipe était fumée, il sortait sur le petit balcon devant la salle et tapait sa pipe sur la rambarde pour la vider avec un toc toc toc qui annonçait pour bientôt la fin de l’exercice pour le cours de dessin. La cendre tombait sur le grand pied de sauge planté juste en-dessous et quand le soleil venait chauffer l’endroit, le parfum était inimitable
La dame de la bibliothèque avait sûrement un prénom, mais je ne l’ai jamais su ou je ne l’ai pas retenu. On y allait avec l’école une fois tous les quinze jours. Une BD, un roman et un documentaire. Et des ajustements sur le nombre et le genre après discussions avec elle. La bibliothèque c’était le jeudi. La classe était divisée en deux groupes, pendant que l’un choisissait ses livres, l’autre écoutait une histoire racontée par la dame de la bibliothèque. Assis par terre sur un tapis de gym, on écoutait, on voyageait, on vivait d’autres vies que la nôtre, on entrait dans d’autres mondes. Certains chahutaient, se chamaillaient et n’écoutaient que d’une oreille, alors elle s’arrêtait. Puis, le calme revenu, le voyage reprenait. Quand sa voix baissait et qu’elle refermait doucement le livre, j’étais toujours le dernier à me relever. La dame de la bibliothèque n’avait pas de visage, elle était chaque quinzaine le livre qu’elle lisait. De retour à l’école, la maîtresse savait qu’il était inutile de me parler, je ne comprenais plus sa langue. Il aurait fallu qu’elle me parle comme le livre pour que je lui réponde
ah les pastilles Vichy ! (bon je continue) – ah le parfum de la pipe… bein campés dans leur rapport avec l’enfant ces trois là
Oui, on se découvre doucement, l’enfant et moi, avec quelques affinités communes, comme les pastilles Vichy 😉
Sait-on ce qu’est l’amour…?
il y a deux jours quand Blanche s’ets amusée à répéter « Bubut » devant le magasin ci-déformé, et qu’il y avait dans ses yeux toute la malice qu’elle peut avoir à claironner le mot sur le parking…ça doit ressembler à ça…