Le père Carli
Les étés, derrière le grillage qui sépare le gazon du jardin des grands-parents et la grosse terre en motte du champ du voisin, le père Carli, un frêle petit monsieur très vieux, plus vieux que n’importe quel homme connu. Il a une cigarette jaune minuscule collée à sa lèvre inférieure, un mégot éteint comme s’il l’avait trempé dans la bassine en fer des bêtes ou que la pluie avait dégouliné de l’arête de son nez. Il la mâchouille en regardant l’horizon et il parle du temps qu’il fera en roulant les R. Il empoigne le manche épais de sa bêche d’une main maigre, une main à quatre doigts, le plus grand des doigts, celui du milieu a été coupé, c’est un petit doigt tout arrondi comme une bosse. Il porte un gilet en laine grise troué rapiécé raccommodé, un pantalon de travail, et se tient le genou légèrement plié comme s’il avait une hanche plus lourde que l’autre. Il a mis d’autres chaussures dans ses grosses galoches.
Madame Ray mère
Après l’heure de la sieste, les volets étaient encore clos, car il faisait encore bien chaud. Le moyen de se guider dans la chambre était de suivre du regard une petite statue de calcaire blanche, un pied, une colonne et sur le dessus, une ronde colombe, le tout sculpté proprement d’une pièce. Madame Ray assise dans l’obscurité en parlait comme d’un trésor. Elle n’avait pas de mot pour décrire la bonté du jeune homme souriant sur une photographie posée près de la Sainte Vierge sculptée de la même manière. Ses doigts tordus par le temps saisissaient la matière poreuse et sa bouche décrivait aussitôt un baiser que je ne lui ai jamais vu faire autre part que sur mon front. Après m’avoir raconté l’histoire que je connaissais bien, elle se levait, se déplaçait lentement vers le gros buffet, y reposait la statuette et revenait s’asseoir les mains serrées sur son tablier.
Le clochard
À ce qu’il parait les week-ends, il rôdait dans l’escalier et portait sur l’épaule un grand sac pour emmener les enfants pas sages. Le clochard, comme il nous avait été présenté, c’était son nom, nous aurait promptement enlevés et transportés dans son sac en toile de sac à pomme de terre. Il devait être hirsute et même grogné ; il devait avoir un gros nez et aimait les endroits vides comme les escaliers près des ascenseurs. Un pied sur le palier et s’en était fait, la rencontre ne pouvait qu’être fatale puisqu’il était robuste et qu’il porta une grande barbe ne supposait pas qu’il soit sympathique bien au contraire. Il avait de larges mains griffues et il était impossible d’avoir le temps de voir ses yeux qui étaient, à n’en pas douter, monstrueux. Il respirait fort et sentait très mauvais.
« (…) les mains serrées sur son tablier. » On y est tous avec Madame Ray mère (et la sonorité du nom aussi !). Et on a envie de les croiser plus loin ces personnages. Qu’ils se développent. Qu’ils résonnent dans le cycle.
Merci Camille. Oui Madama Ray était très touchante à l’heure du thé.
je préfère nettement Madame Ray mère au clochard (quoique comme il était fictif…)
Merci Brigitte, oui « Le clochard » est apparu par surprise bien que fictif – et c’est dur de l’avoir appelé ainsi- il a une certaine réalité même imaginaire. Alors je l’ai laissé ici dans cette proposition en étant conscient que j’étais à coté. Cependant qu’est ce que le fictif ?
c’est le plus vivant